Les Communards, Michel Winock, Jean-Pierre Azéma (par Vincent Robin)
Les Communards, Michel Winock, Jean-Pierre Azéma, mars 2021, 224 pages, 8 €
Par tradition, le terme de « Communards » désigne ces citadins qui prirent part à l’insurrection parisienne de 1871. Ce fut ainsi, au lendemain de la sévère défaite napoléonienne de Sedan (le 1er sept. 1870), que cette population urbaine entendit s’opposer vigoureusement, d’abord à l’invasion prussienne, ensuite à l’Assemblée versaillaise conduite par Thiers et préconisant une collaboration avec l’envahisseur. Par recul historique faut-il considérer que ces citadins révoltés furent essentiellement des ouvriers et artisans soutenus par des membres de la petite bourgeoisie parisienne. Forte de la Garde nationale qui se rangea majoritairement à ses côtés, cette importante fraction insurgée, le plus souvent populaire, entendit alors répondre aux menaces qui se profilaient face à elle de deux côtés. Par une réaction armée, par une reconsidération des statuts sociaux courants et par l’affirmation de son autonomie. C’est ainsi, grâce à une charte élaborée par l’assemblée communale élue à la majorité que cette émanation populaire définissait bientôt ses principes d’immunité et de régulation sociale. Au bout de quelques mois cependant, ce mouvement collectif aux aspirations d’indépendance démocratique et de justice sociale allait succomber dans un affreux bain sanglant, généré par l’acharnement et la sévérité militaires de « Français-Versaillais », finalement bien plus compréhensifs et dociles à l’égard de l’occupant germanique.
Dès 1964, dans une première édition (au Seuil) et dans un travail d’analyse brillant, deux jeunes universitaires s’employaient à pointer la singularité du « Communard » apparue dans l’histoire républicaine du pays. Réédité aujourd’hui avec bonheur (et avec quelques propices réajustements), cet ouvrage objectif et éclairant, coécrit par les historiens Michel Winock et Jean-Pierre Azéma, ramène ainsi judicieusement à la vérité factuelle du résistant parisien de 1870-71. Il s’était insurgé à la fois contre l’invasion prussienne et contre le gouvernement bourgeois de « défaite collaborationniste » d’Adolphe Thiers – tout comme on le sait, autant replié à Versailles par pusillanimité que pour soutenir violemment les intérêts d’une minorité française ultra-cupide et conservatrice, proclamée « républicaine »…, par usurpation de vocabulaire.
Il n’est sans doute pas coutume d’entamer la lecture d’un document par ses dernières pages. Toutefois, et pour le cas présent, peut-on recommander de se porter d’entrée à la page 177, ainsi au court chapitre intitulé « Chronologie ». Les quatre pages de ce condensé énoncent en effet avec précision la somme successive des évènements contextuels qui, de manière assez imprévisible, auront amené en 1871 « La Commune de Paris ». Et pour résumer ce contenu, rapportons dans l’ordre et par extraction majeure, les enchaînements suivants. Au 2 septembre 1870 la calamiteuse faillite politique et militaire de Louis Napoléon (le « Badinguet » de Paul Gavarni) avec la réédition de Sedan, la proclamation de la République deux jours plus tard, la capitulation de Bazaine à Metz le 27 octobre suivant, une première journée révolutionnaire à Paris le 31 du même mois, le début des bombardements prussiens le 5 janvier 71, puis la signature de l’armistice le 28 janvier et les élections de l’Assemblée nationale le 8 février consécutifs. Un tournant définitif paraît pris lorsque cette assemblée que commande Thiers fuit Paris et se réfugie le 10 mars à Versailles. Le coup d’éclat du 18 mars, avec la réquisition avortée des canons de la Garde nationale « met le feu aux poudres » en provoquant l’insurrection des Parisiens. Jusqu’à la semaine dite « sanglante » du 23 au 28 mai, une guerre civile sans concession, rudement menée par l’Assemblée de Thiers comptera les nombreux épisodes d’une résistance vigoureuse et déterminée de la population de la capitale mais qui se soldera par un massacre de civils (environ 20.000 tués côté parisien).
Les marques sociales et politiques d’un passé plus ou moins immédiat mais plusieurs fois troublé éclairent indubitablement le climat ambiant de ces évènements français du printemps 1871. Depuis la Révolution de presque un siècle auparavant, plusieurs fois revendiqué, interprété, rejeté, ajusté, instillé ou même encore dévoyé, le mot « République » avec ses devises (liberté, égalité, fraternité) continue cependant de résonner dans les esprits nationaux de 1871. Non plus comme une chimère mais plutôt comme une promesse imminente de liberté. Les décennies de la Restauration, celles de la Monarchie de juillet ainsi que celles de la seconde ère napoléonienne qui viennent à leur tour tout juste d’exploser n’auront jamais pu effacer dans le sentiment populaire l’attraction républicaine plébiscitée en 1792 par le révolutionnaire.
C’est alors un état des lieux sans appel que dressent nos deux auteurs, au cœur de leur livre et au sujet de la situation sociale française globale, à l’entame du troisième tiers du XIXe siècle, ainsi lors du second effondrement napoléonien : « La France du vieil empereur, à l’hiver de son règne, n’est plus celle d’un coup d’Etat. En vingt ans, elle est sortie de l’ancien régime économique. Peu à peu, les campagnes abandonnent leur surcroît de population dans les cités industrielles, où s’enrichissent les barons de la sidérurgie, des textiles, des chemins de fer, des banques, des sociétés de crédit, des grands magasins… » (p.22). L’industrialisation nationale, le profit capitaliste enragé (à la mode anglo-saxonne) et engrangé par une minorité de privilégiés sur le dos des majorités paysannes ou ouvrières pauvres (presque un pléonasme) fabriquent ce chaudron en ébullition. En même temps qu’elles acculent l’empereur dans une impasse sordide et suicidaire de déclaration de guerre, les effroyables gabegies napoléoniennes, notamment au Mexique, coûtent au pays le prix de sa recrudescente misère. Les monarchistes, et les grands bourgeois pseudo-républicains, à l’image de Thiers ou de Ferry, ne se résolvent pas à l’idée d’une société véritablement égalitaire, pas plus en temps de crise qu’en temps de paix. Les élections, encore conditionnées par le statut de la richesse ou par le très ancestral conservatisme paysan sourient au parti monarchiste (le 8 février 1871 notamment) qui prend ainsi ses revanches sur l’homme de la « redite impériale ». A Paris, surtout compte tenu de leur indigence, les prolétaires ont été chassés du centre urbain et le plan « Haussmann » de reconstruction de la cité ne paraît pas dès lors aussi bien ressenti que cette gloire mirifique honorée par la postérité. Ainsi les zones urbaines périphériques (Belleville/Ménilmontant et plusieurs arrondissements) sont-elles devenues la terre d’accueil des déshérités, des laborieux et des démunis (pour ne pas dire des rejetés). Ces « Parisiens » de la Commune seront pourtant essentiellement les défenseurs de la ville contre l’invasion prussienne. Epaulée par une garde nationale extraite de ses rangs, la fraction populaire de Paris se constituera alors, malgré ses douloureuses restrictions, en Comité de défense et d’organisation politique autonome. Elle en paiera le prix par son extermination, non point commandée par le Prussien mais délibérée par l’intraitable Assemblée versaillaise.
En réalité, et durant ce temps, les acteurs de la révolte parisienne s’auto-définissaient, non pas sous le titre de « Communards » mais plutôt sous l’intitulé de « Communalistes ». Et c’est sans doute bien par intention postérieure de discrédit que resta longuement attaché à l’insurgé parisien ce confusionnel titre final faisant assez directement référence au « Communisme » de Marx et Engels, ou bien encore à celui de Staline, horriblement appuyé sur la « dictature du prolétariat » pour justifier ses crimes. Dans la commune de Paris de 1871, nulle part ne sera pourtant apparue cette revendication. Aussi bien, en matière de leçon républicaine et démocratique, devrait-on se rappeler que, le premier dans l’histoire universelle, l’insurgé parisien préconisa le suffrage universel direct acquis à tous les citoyens, ainsi que le vote féminin sans exclusive… Ce que la République française mettra bien du temps à adopter.
Le très bourgeois et droitier (voire rétrograde) pouvoir politique actuel n’aura pas daigné célébrer cette année le 150è anniversaire de ces importants évènements, faisant du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er (notamment celui qui réinstitua l’esclavage après la Révolution abolitionniste de 1789) son gargarisme commémoratif. Sans doute est-il bon de se rappeler qu’au sein d’une communauté nationale, les intérêts privés d’une fraction courte, privilégiée et emparée du pouvoir politique, peuvent se traduire par des répressions violentes et même sanglantes portées contre une majorité de gens modestes qui aspirent à plus d’égalité. Au cours des siècles passés, plusieurs révolutions en France, quelquefois tout aussi sanglantes, seront montées de ce grand déficit de solidarité. Une concorde aura cependant été trouvée sous l’institution durable de la République avec sa triple devise. Pour ce qui est de la fraternité ou même de l’égalité toutefois, les jours actuels, pourtant inscrits sous ces insignes républicains, restent-ils propres à les garantir ? Cet excellent livre commémoratif sera une belle occasion de s’enrichir des expériences du passé pour se questionner sur ces sujets.
Vincent Robin
Michel Winock, né en 1937 à Paris, historien français spécialiste de l’histoire de la République française, ainsi que des mouvements intellectuels et politiques. Ses travaux l’ont conduit en particulier à traiter les thèmes du socialisme, de l’antisémitisme, du nationalisme et des mouvements d’extrême-droite en France. Il est professeur des universités en histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques à Paris où il a enseigné entre autres l’histoire des idées politiques.
Jean-Pierre Azéma, né en 1937, historien français, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement de l’histoire du régime de l’État français (dit « régime de Vichy ») et de la Résistance.
Bibliographies : La production écrite, livresque ou journalistique, de ces deux historiens de renoms étant à la fois tellement copieuse et publiée que, par souci d’espace utilisé, nous nous dispensons d’en fournir ici le détail pléthorique.
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