La mutation, Olivier Larizza (par Murielle Compère-Demarcy)
La mutation, Olivier Larizza, éditions Andersen Plus, novembre 2021, 104 pages, 9,90 €
La mutation, publiée par les éditions Andersen Plus, dans la Collection Confidences, de l’écrivain et universitaire Olivier Larizza (poète, romancier, nouvelliste, essayiste, conteur et dramaturge, enseignant-chercheur à la faculté de Strasbourg puis de Toulon), s’inscrit dans le cycle La vie paradoxale amorcé en 2016 avec L’Exil suivi de L’Entre-deux en 2017. Ici l’œuvre poétique en cours d’édification tente d’opérer une alchimie des ingrédients du vécu transformé en un chaudron livresque mélancoliquement solaire, et forme un ensemble autobiographique (« – bien plus que cela à vrai dire – entamé en 2006 et se refermant en 2014 », précise la « Préface de l’auteur »). Cette partie du cycle s’inscrit dans une période déterminée de l’auteur, celle-là qui a opéré « la mutation » intérieure, à l’âge de trente-six ans, d’un être dévoré par une fureur de vivre et le feu brûlant de la passion, jusqu’à un état de maturité convalescente qui correspond au laps d’écriture du livre.
L’écriture poétique y est ainsi un ponton de répit d’où l’auteur reprend par les mots le cours de ses passions passées dont le lyrisme passe par le filtre de la créativité à la fois thérapeutique, cathartique et tectonique au sens où la lave du vécu fait partie ici intégrante et donne sa raison d’être au volcan intérieur de l’individu. C’est dire que l’Écrire chez Olivier Larizza est expérimentation du Vivre et Expérience littéraire viscérale.
L’année 2011 me fit donc passer (…) de Peter Pan un brin Casanova & Dorian Gray à
ce qui ressemble peu ou prou à la maturité d’homme.
Phases de mutation à l’instar des métamorphoses du papillon ou de la libellule passant de l’état larvaire à l’envol paradoxal (à la fois libérateur et souvent éphémère/mortifère comme peut l’être la passion humaine), en passant par le tempo temporaire d’une chrysalide, en changeant de formes d’existence en même temps que d’espaces de respiration. L’air libre est dans tous les cas l’horizon joué sur la table de l’aléatoire par les dés de l’existence vouée à « la mutation ». Ni tout à fait Orphée ni tout à fait Narcisse, Larizza s’immisce et s’esquive en mutant, en poète lyrique errant, entre les flammes d’un réel voué au brasier des passions, quitte à se brûler les ailes, livrant du même coup le lecteur à la brûlure des mots/maux, au tumulte opiniâtrement tourné vers l’espoir pacifique, osant la vie tiraillée entre continents (l’européen et le caribéen) tel un poète baroudeur traversant, flambeau poétique en mains, un vingt-et-unième siècle en mal d’équilibres.
Le titre des deux voyages précédents entrepris au cœur du cycle La vie paradoxale propulse d’emblée le lecteur au long de lignes de fuite, certes parallèles puisque l’espoir pacifique est point de convergence, mais dans une zone de transit(ion) entre tarmac, pistes d’envol et escales où le poète remue avec l’Écrire le Vivre dans L’Entre-deux de L’Exil existentiel, entre deux feux, entre deux portes, serrant et livrant la fuite du temps au brasier des passions, au bûcher de la poésie (à celui des vanités ?). Larizza confie dans la Préface faire l’oiseau migrateur entre Strasbourg et la Martinique depuis 2003, à la faveur d’une nomination à l’Université des Antilles-Guyane durant douze années jusqu’en 2015. Entre la passion qui consume et la poésie qui rédime, l’éclat des mots – qui sont autant de glaives diamantaires enfoncés dans le ventre d’un monde aux multifacettes vertigineuses – transcende les soubresauts du temps, emporte nos états d’âme « À vau-l’eau ». L’éclat des mots jette, et nous jette, « là où (l’on) ne (s’)attend pas ». L’inachevé a le goût des amers perdus de vue à peine aperçus, échappés à peine approchés.
Une aigrette blanche m’a rappelé
que j’ai bullé tout l’été Sphinx vénitien
emperlé d’eau fine j’ai bu l’or jaune
qui m’a enivré Les copies corrigées
sur le transat lézard fabuleux rayonnant
d’uv je lis Le portrait de Dorian
Gray – À côté de lui ce que j’écris
m’apparaît surfait
La Flamme d’une nuit, le Feu d’une Vie, n’éteignent pas l’amertume, n’atteignent le rien écho de la chance que pour mieux rebondir au cœur des sursauts inattendus et si, « succédané le poème n’exauce//rien/De l’autre côté de la baie », l’ange de l’espoir invincible clignote et renvoie la lumière verte l’orgasmique
« futur//que Gatsby espérait tant » (Gatsby le magnifique alter ego en miroir d’O. Larizza comme Dorian Gray).
La Préface de l’auteur évoque le rôle joué par la poésie dans son existence et l’on comprend que celle-ci est souffle, respiration, élan vital, mues, nouvelle vague toujours nouvelle du poète-albatros, « oiseau migrateur » aux confins et au cœur du monde Olivier Larizza…
La poésie entra dans ma vie (…) Elle s’immisça comme une façon de chroniquer par fragments et en pointillés un quotidien déroutant. Comme un moyen aussi d’exorciser ou de sublimer (voire travestir) des moments particuliers (ce que Virginia Woolf aurait appelé « moments of being »).
… entre deux ciels, celui entrevu sous la chape de l’introspection et d’une rêverie lucide, à la fois spleen et idéal, celui visionnant un ailleurs peut-être plus panoramique que pragmatique, une exorcisation, la transe, une sublimation du temps recentré plutôt que concentré sur le passage de ses heures, là où l’Écrire prend et s’éprend, reprend et retouche le réel sous son aile, afin de le relire, de le dire comme l’Écrire dit « la vie sur le vif », et, en particulier, la poésie.
La poésie – « “ma” poésie – ne se calcule pas », note Larizza, « elle advient par surprise (comme si je n’étais que le sténographe de ce qui secrètement s’imprime en moi), c’est dire que chez l’auteur de La mutation l’inspiration est comme automatique, du moins survient-elle spontanément, et qu’elle peut être fulgurante (ainsi, écrit Larizza, la poésie « reflète la vie à bout portant, au pied levé »). Sommes-nous dans le même mécanisme de création que chez les Surréalistes avec l’écriture automatique ? Le poète s’en explique : « J’ai souvent eu l’impression d’écrire sous la dictée fulgurante du poème. Mais ce n’était pas pour autant de l’écriture automatique comme chez les Surréalistes ; cela répondait à une nécessité intérieure et cela s’architecturait en conséquence ». Calquée sur le réel bondissant, la poésie déverse ses poèmes dans un flux aligné sur le rythme de l’instant, ici et là, c’est pourquoi les mots poétiques surgissent à la vitesse douce d’une rivière ou plus nerveusement ou tempêtueusement, à la vitesse d’un torrent. Le cours poétique, vif et ardent, surgit dans la fulgurance au bout d’une ligne discontinue, suite de lignes brisées, dans une totalité existentielle non systémique en construction/construite par les mots même chez le poète.
L’amour, sur le champ vital et lexical où se dresse cette cathédrale lyrique bâti par le poète, mène à l’instar de l’inachevé de l’Écrire, cette même course à bout de souffle, « à bout portant », effusive, tectonique, explosive. L’amour, volage et volatile, court au fil des pages (datées et situées), ainsi à Mulhouse le 1er mai 2011
Raflé la mise à Mulhouse j’ai
séduisante vie Une de plus dans l’escarcelle
du tombeur en bandoulière
Parfois la « Chute » s’amortit dans un « capharnaüm » où l’obscur caresse les claires-voies du rêve
Costume doré chemise noire je me promène
sans toi qui m’attend Vénus à l’ombre douce
tu tortures mes nuits cisèle mon cafard
capharnaüm de ma vie
L’amour court, de valse séductrice en tango du désir sans fin, et la vie recommence à chaque bribe de mots reformulés comme à chaque conquête se reformule l’amour séducteur
Un avion dans le ciel
moi seul sous le ciel
l’avion découpe le soleil
je me dissous dans la matrice
vermisseau à l’orgueil blessé
elle s’en va dans l’ambre du soir
A ma droite Je me consume
Laetitia sais-tu cela
doucement je te désire
Et le manque s’amarre au désir, amoureux de lui-même en toute éternité
Je me suis amarré à ton naufrage ma belle
île en mer c’est l’eau qui nous séparera me
laissera
à part comme je l’ai au fond toujours été Même
l’été
l’éternité n’y changerait rien (…)
Les actes manqués
manduqueront
mes souvenirs & le cœur serpillière
Celui-là n’aura été
qu’un damné de la terre.
Et si l’amour (celui d’être aimé et d’aimer) bat de l’aile dans une immense vacuité, si volatile éphémère de l’éphèbe il papillonne – « rayon de soleil sur le moral qui dedans s’écaille… » – il est ce « Mode mineur » même nous offrant « le surplomb du monde » et nous fait sortir, île en « Autarcie craquelée » la tête de l’eau, le cœur chargé de mots tournés vers l’archipel du désir moissonneur.
Cœur pilé ramassant ses bribes de maux d’amour en syllabes de mots coupés en fin de vers (des vers libres et blancs scindés pour certains dans des enjambements, d’un vers à l’autre ou à l’hémistiche), le poète Larizza nous propose dans le genre atypique de la « poésie-journal » sa vie sur le vif par le canal de l’écart poétique s’écoulant entre les lignes, au rythme fragmentaire d’un miroir lyrique verbal en éclats tendu devant nous telle une constellation d’étoiles isolées/de nos moi insulaires retrouvés.
Le Narcisse-poète s’interroge car il ne se contemple pas, du moins ne fait-il pas que se contempler, dans le miroir du papier : il s’y redécouvre tel l’homme aux mille visages. Et si jamais il pouvait tomber dans l’eau de son reflet, alors il s’apercevrait à quel point son petit artisanat est hériclatéen et bergsonien : on ne s’y baigne jamais deux fois le même/dans l’incomparable fleuve-poème…
Murielle Compère-Demarcy
- Vu: 1465