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A propos de Pike de Benjamin Whitmer

Ecrit par Marie-Josée Desvignes le 18.05.15 dans La Une CED, Les Chroniques

A propos de Pike de Benjamin Whitmer

 

Le roman policier a ses origines dans le tragique, Œdipe-Roi de Sophocle étant considéré comme l’un des premiers récits d’enquête criminelle. Le roman noir est né dans les années 70 avec des auteurs comme Jean-Patrick Manchette, T. Jonquet ou Bernard Pouy. A la suite de ce genre déjà ultra-violent, le néo-polar vient donner un coup d’accélérateur dans la néantisation du monde.

En 4e de couverture, cette phrase d’Olivier Marchal : « Benjamin Whitmer c’est Shakespeare qui aurait baisé avec Ellroy », et le ton est donné, nous sommes bien dans du néo-polar et le tragique du monde actuel. Ambiance violente et macabre, voire mortifère, qui dénonce une société contemporaine tombée bien bas, mêlant dans cet univers glauque prostitution, déchéance, psychopathes, tueurs monstrueux sous l’habit de l’homme urbain et même celui de la campagne. De page en page, on avance dans cet univers déshumanisé, d’horreurs en horreurs et on peine à arriver au bout de cette descente aux enfers, cela malgré une écriture très maîtrisée. La recherche de Pike ne s’inscrit pas dans celle d’une enquête classique même si au fil de sa déambulation il trouve ici et là quelques indices qui l’amèneront à son but. Pike n’est pas non plus le détective ou le flic, stéréotype du personnage de polar. Il n’y a pas de personnage sauveur, ni héros ni juste, le flic toujours perverti en a vu d’autres, le truand est revenu de tout mais le lambda n’est pas mieux loti.

D’abord le meurtre violent d’un jeune adolescent noir par un flic répondant au nom de Derrick puis alternativement la déambulation d’un truand, Pike, personnage central parti à la recherche de ceux qui ont connu sa fille, Sarah. « C’était une pute » dira son père qui ne s’en est jamais occupé, morte d’une overdose dans d’horribles conditions. Chacun dans son rôle sombre, très sombre, est un anti-héros, le lecteur ne peut éprouver aucune sympathie pour ces monstres à moins d’être à son tour devenu à ce point perverti.

Même la petite-fille de Pike, une enfant de douze ans, semble avoir déjà tout connu des pires horreurs de ce monde, à en croire sa façon de répondre aux sales types qui l’abordent, qu’elle traite tous de « vieux pédophiles » et dans un langage pas châtié du tout.

De récits sordides en récits sordides, le lecteur curieux de ce genre en a sa dose, et ici le néo-polar joue son rôle de relais d’une actualité de plus en plus détaillée et mortifère :

« Et vous vous en dites quoi ?

– J’en dis que même en tournant l’affaire dans tous les sens, j’arrive pas à imaginer de bonnes raisons pour ligoter une fille de onze ans à une chaise et à la violer. Mais je suis vieux. Suis peut-être bien dépassé ».

Le type est vieux et s’interroge à peine sur sa difficulté à comprendre ce qu’il lit chaque jour dans le journal. En est-on nous-mêmes vraiment arrivés déjà à ce stade de banalisation, pour justifier qu’une littérature qui la dévoile de cette façon, existe ?

Tout lecteur lambda a-t-il ce regard distancé sur ce qui lui est présenté comme une fiction pourtant si proche des pires affaires révélées par les médias et les réseaux sociaux quotidiennement ? Le monde a-t-il besoin de ce genre de « catharsis » ?

« Le monde c’est de la merde. Et c’est incroyable ».

Merde, oui, alcool, vomi, sang, victimes très jeunes, viol, violence, à toutes les pages, servis avec une écriture dense et ciselée, une langue vive, forte, nerveuse, ultra-réaliste. J’ai eu bien du mal à lire un peu plus de la moitié du livre, le prenant par petites doses, obligée de le reposer souvent, me demandant pourquoi je m’infligeais une telle peine.

Aucune lumière, aucun espoir, les femmes elles-mêmes sont toutes des putains même pas avenantes ou affriolantes, pour ne pas dire franchement repoussantes, ou bien elles sont filles de peu que l’on bat ou que l’on méprise.

Le monde se résume dans ce texte à une humanité perdue, réduite à une condition que l’on n’osera même pas dire animale, néantisée, sale, quasi-démoniaque.

Un seul personnage nous touchera peut-être (et encore…), Rory, acolyte de Pike, qui traîne avec lui un profond sentiment de culpabilité : il a tué sa petite sœur de deux ans par accident, dit-il. Désabusé, il erre aux côtés de Pike, pour retrouver les salauds qui sont responsables de la mort de Sarah, la fille prostituée et junkie de Pike.

Seule alternative à un monde en perdition :

« Boire et conduire, voilà peut-être la seule chose la plus importante au monde. C’est la réponse à cette haute sensation de solitude que rien ne pourra évacuer, c’est la seule issue quand il n’y a plus d’issue ».

Fuir si possible et de préférence imbibé d’alcool, afin de ne jamais trop ouvrir les yeux sur ce monde. Belle perspective d’avenir.

 

Marie-Josée Desvignes

 

Pike, Benjamin Whitmer (2010), traduit de l’anglais (américain) par Jacques Mailhos, Septembre 2012, Gallmeister, 264 pages, 22,90 €

 

Lire l'article de Alexandre Muller sur la même oeuvre :

http://www.lacauselitteraire.fr/pike-benjamin-whitmer

Lire l'article de Yan Lespoux sur la même oeuvre :

http://www.lacauselitteraire.fr/pike-benjamin-whitmer-2eme-recension

 

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A propos du rédacteur

Marie-Josée Desvignes

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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