Vols au crépuscule, Helen Macdonald (par Charles Duttine)
Vols au crépuscule, Helen Macdonald, avril 2021, trad. anglais, Sarah Gurcel, 352 pages, 23 €
Edition: Gallimard
Pour les oiseaux.
On se souvient de ce beau conseil donné par Gustave Flaubert à l’un de ses correspondants : « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps » (lettre à Alfred Le Poittevin, septembre 1845). Conseil valable pour l’artiste en général, le peintre, le romancier ou le poète en particulier, mais suggestion avisée également pour tout naturaliste ou amateur éclairé de la faune sauvage. En lisant le livre d’Helen Macdonald, Vols au crépuscule, une suite d’essais sur le monde animal, on découvre l’importance de cette patience du regard, de la lenteur et de l’attention rigoureuse pour qui veut saisir le monde animal. « Il faut se donner le temps de regarder » écrit l’auteure. La beauté de celles qu’on appelle les bêtes et surtout des oiseaux se révèle à qui sait scruter le ciel et attendre. Il faut un œil apte à contempler et qui sache regarder longtemps et prendre son temps.
Ainsi, Helen Macdonald rapporte-t-elle certaines scènes d’affût qui lui ont permis par exemple d’apercevoir des loriots d’Europe (rares dans les îles britanniques) qu’elle appelle des « oiseaux de légende » ou encore des panures à moustaches à l’allure de « petites boules de cachemire ». Il en résulte, comme elle l’écrit, une véritable « magie », une délectation où la « beauté vivante et absurde » submerge celle qui contemple de tels oiseaux. On découvre aussi des scènes fabuleuses et saisissantes lorsqu’elle observe, du haut d’un gratte-ciel new-yorkais, le passage des oiseaux migrateurs. Un phénomène qui se répète deux fois l’an et qui passe presque inaperçu au-dessus de la ville où l’on voit la nature se jouer superbement du monde des hommes. Ces apparitions soudaines deviennent « des trésors ». Là, se révèle « la capacité qu’a la nature de surprendre et de dérouter ».
Ce qui étonne surtout à la lecture de ce livre, c’est la passion qui anime cette jeune femme qui est chercheuse à l’université de Cambridge ; une libido sciendi, un amour du savoir et un intérêt toujours renouvelé pour les phénomènes naturels. Son regard décalé, singulier, loin des préoccupations quotidiennes, semble toujours neuf et affûté. Par exemple, en empruntant une banale autoroute, au crépuscule, là où certains ne verraient que le déroulé de la route, Helen Macdonald scrute l’horizon à la recherche de la crête lointaine d’une ligne d’arbres centenaires, les nuages annonciateurs d’un orage, le vol fortuit d’un groupe d’oiseaux ou encore le passage discret de cervidés. Son enthousiasme est communicatif et il nous pousse volontiers à l’accompagner dans ses pérégrinations.
Du point de vue de la forme, l’ouvrage se présente comme une collection d’essais sur différents sujets. Des sujets variés, non seulement des oiseaux, mais aussi des sangliers, des insectes, des champignons, des arbres et des paysages dont elle sait dire la singularité. Curieusement, l’auteur parle également d’autres sujets que naturalistes, ses migraines, le décès de son frère, le sort d’un migrant. Un ouvrage déroutant qui semble tenir du journal intime. Un autre des fils conducteurs de tous ces essais est de montrer que nous projetons sur les animaux nos préjugés, nos envies et nos attentes, incapables que nous sommes de les accepter tels quels. L’auteure souligne ainsi ce qu’apporte leur fréquentation : une mise à distance de notre personne, le sens de l’altérité et l’idée que l’animal et nous, dans le monde, « avons strictement la même importance ».
Comme certains grands voyageurs se sont abîmés à regarder et à rêver devant des atlas, d’où est souvent née leur vocation, il en est d’autres comme Helen Macdonald qui ont contemplé et imaginé devant des planches-naturalistes. Rêverie, imagination et poésie scandent son ouvrage. Une dimension poétique proche parfois de la mystique et de la méditation. Un chapitre est d’ailleurs assez étonnant en faisant référence aux travaux de Rudolf Otto, l’auteur du livre Le Sacré, bien connu des apprentis métaphysiciens. Helen Macdonald rejoint les intuitions de cet auteur concernant l’expérience du « numineux », ce sentiment fait de terrible et de fascinant, de mystérieux et d’émerveillement qu’elle ressent parfois devant l’apparition des animaux et l’éblouissement de la nature. « Quand l’euphorie s’empare de l’instant et le transfigure. Le silence profond qui précède l’orage. Le claquement d’ailes d’une nuée de colombes qui s’envolent dans le petit jour. (…) L’amour, la beauté, le mystère. Des épiphanies sans doute. Des manifestations de la grâce ».
C’est un livre qui plaira indéniablement à ceux qui aiment le spectacle de la nature, ceux qui attendent impatiemment l’arrivée des martinets et qui écoutent avec ravissement leur jeu criard les soirs d’été ; ceux encore qui couvent du regard un nid de mésanges et qui s’amusent des sautillements sur une pelouse de l’accenteur mouchet, bref ceux dont une petite part de leur vie palpite pour les oiseaux.
A noter la traduction fluide et précise de Sarah Gurcel qui accentue le plaisir de découvrir ce livre.
Charles Duttine
Helen Macdonald, naturaliste, poète, illustratrice et chercheuse au département d’Histoire et Philosophie des Sciences à l’Université de Cambridge, est l’auteure de M pour Mabel, d’une histoire culturelle des faucons et de trois recueils de poèmes. Elle a travaillé comme fauconnière et a participé à des missions de préservation des rapaces à travers l’Eurasie. Elle écrit pour le New York Times Magazine.
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