Visiteurs de Versailles. Voyageurs, princes, ambassadeurs (1682-1789), Daniëlle Kisluk-Grosheide, Bertrand Rondot
Visiteurs de Versailles. Voyageurs, princes, ambassadeurs (1682-1789), Daniëlle Kisluk-Grosheide, Bertrand Rondot, novembre 2017, 336 pages, 45 €
Edition: Gallimard
Dans l’esprit de Louis XIV, autant qu’on puisse le savoir, le château de Versailles n’avait pas pour seules fonctions de le séparer de Paris, cité tumultueuse, ligueuse et frondeuse, dont le jeune monarque se retrouva quelque temps prisonnier (un très mauvais souvenir), et de domestiquer une noblesse attachée aux vestiges de l’ordre féodal. Cette ancienne demeure de chasse fut agrandie démesurément afin de frapper les esprits et de présenter une sorte d’image ramassée de la puissance royale (ce n’est évidemment pas un hasard si l’édification du château « moderne » a coïncidé avec la période la plus riche de l’opéra et du théâtre français : Versailles est une scène où le roi se produit), à une époque où la France tenait, dans la conscience européenne, la place des États-Unis dans l’actuelle conscience mondiale : pays riche, puissant, influent et donnant la note au continent entier. Au XVIIIe siècle, on parlera français dans la plupart des cours européennes et il n’y aura presque pas de potentat, de margrave, qui ne voudra sa réplique du château de Versailles, de la même manière qu’au début du XVIIe siècle tout le monde cherchait à imiter les jeux d’eau des palais romains.
En plus d’un personnel nombreux et de résidents plus ou moins permanents (au bon vouloir du roi), Versailles accueillit sous l’Ancien Régime de nombreux visiteurs, pas encore dans le cadre du tourisme de masse, mais du déploiement de puissance et de la géopolitique. Une exposition consacrée à ces Visiteurs de Versailles, organisée par le château de Versailles et le Metropolitan Museum of Art de New-York, est présentée à Versailles du 22 octobre 2017 au 25 février 2018 et le sera à New-York du 9 avril au 29 juillet 2018. Publié sous la direction de Daniëlle Kisluk-Grosheide et Bertrand Rondot, le catalogue, d’une érudition allègre, constitue un enchantement pour les yeux et l’esprit, une invitation au voyage, non vers l’étranger, mais vers la France. La manière dont le puissant roi de ce pays pouvait être interpellé par le moindre de ses sujets était une source d’étonnement pour les visiteurs venus de cours au protocole plus rigide ; étonnement d’autant plus grand que le rituel strict de la vie à Versailles laissait en apparence peu de place à la spontanéité. À cela s’ajoutait une dimension surnaturelle, avec la cérémonie déroutante du toucher des écrouelles (p.92). Les visiteurs étrangers avaient l’occasion d’admirer ou de critiquer Versailles dans le cadre de leur « Grand Tour » à travers l’Europe ou à la faveur de missions diplomatiques : ambassadeurs d’empires anciens (Siamois, Turcs, Russes, Perses) ou de très jeunes nations, comme les États-Unis d’Amérique. Dans plus d’un cas, l’étonnement et l’émerveillement furent réciproques. Les diplomates offrirent aux rois de France des objets étranges et beaux. À mesure que le temps passait, que la nouveauté s’estompait, que des Versailles en miniature essaimèrent dans toute l’Europe (sans les arrière-pensées qui avaient présidé à la conception de l’original), le regard porté sur le modèle évolua et on se montra de plus en plus sensible à ce qu’on percevait comme des défauts architecturaux de l’édifice (le choix de façades polychromes, par exemple) ou des défauts moraux du système mis en place. Aucun projet de transformation n’aboutit, pas même celui de Gabriel, qui eût amené Versailles à ressembler à son École Militaire (p.313). Versailles n’en demeure pas moins un joyau et, lorsque les présidents Hollande et Macron, si éloignés fussent-ils du Roi-Soleil, voulurent recevoir (et surtout impressionner) respectivement Xi Jinping et Vladimir Poutine, ils les accueillirent à Versailles plutôt que dans cet ancien hôtel particulier comparativement exigu (d’où, de temps à autre, des projets de déménagement de l’exécutif à l’École Militaire) qu’est le palais de l’Élysée (construit pour la fille d’Antoine Crozat, le financier qui posséda un territoire alors aussi grand que le royaume de France – la Louisiane).
Gilles Banderier
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