Vie électrique, Jean-Philippe Rossignol
Vie électrique, 173 pages, 16,90 €
Ecrivain(s): Jean-Philippe Rossignol Edition: Gallimard
Premier roman intéressant d’un jeune auteur qui s’attache à faire que sa vie chemine en prenant doucement la main de la transgression ; car, comme l’écrit Michel Foucault dans Préface à la transgression (in Hommage à Georges Bataille, Critique, n°195-196, août-septembre 1963), « [r]ien n’est négatif dans la transgression. Elle affirme l’être limité, elle affirme cet illimité dans lequel elle bondit en l’ouvrant pour la première fois à l’existence ».
S’ouvrir à l’existence est en effet la vocation de tous les instants de Jean-Philippe Rossignol, rendue lisible par ce roman conçu comme témoignage.
Témoignage d’une vie, d’une pensée.
Vie et pensée mêlées.
Et il faut, étrangement, pour saisir toute l’ambition de Jean-Philippe Rossignol, faire un détour par une auteure qu’il ne cite jamais : Anaïs Nin. Et plus précisément son Journal. Encore plus précisément : les dates du 10 et 21 mai 1933, du 12 juin 1934 et du 10 janvier 1937.
Comme Nin, Jean-Philippe Rossignol veut faire en sorte d’« éprouve[r] » le « rêve prolongé et transporté dans la vie », afin de faire que la vie, sa vie soit « véritablement orchestrale ». Ambition rimbaldienne s’il en est.
Une fois que les rivières de miel et de diamants de l’impalpable ont trouvé un rythme, leur rythme, et qu’elles ont déployé ce rythme dans la vie, qu’elles ont été rendues vivantes dans ce qui de la vie est le plus vivant, à savoir dans le « tout » de la vie, alors est-il possible de faire cette constatation toute simple : « Tout est si étrangement beau, à vous couper le souffle. La vie me coupe le souffle ».
Comme Nin, et comme Artaud, Jean-Philippe Rossignol éprouve une certaine « tendance à tout condenser, à tout passer au tamis de [la] quête de l’essentiel, de [l’]amour – de tous les instants – pour la quintessence dans la vie comme dans la littérature ».
Aussi, bien sûr, la littérature n’est pas plus essentielle que la vie ; elle est à mettre au même niveau que la vie. Écrire est en ce sens loin d’être indispensable : il y a tous les livres aimés, passés, et rendus toujours présents par le souffle de la conscience et la pulsation de l’imaginaire. Ça suffit, ça peut suffire. Amplement.
Écrire ne doit jamais être superflu, mais s’imposer comme le rythme que faire courir la main, pour le mouvement immémorial des planètes, dans l’océan de papier, océan de blanc et de silence – et qui est le rythme que fait courir la caresse sur le monde. Que fait courir la musique dans l’espace.
« J’écrirai, écrit Nin, de petits livres minces – en dehors du journal. Vivre magnifiquement et ne produire qu’un poème ».
Et lorsque l’écriture survient, alors la littérature ne doit pas avoir n’importe quel visage, pour l’auteur. Si la vie est première, il s’agit d’une vie pour laquelle la littérature n’est autre que cette part de swing (c’est le maître-mot), de mélodie et de sensualité que New York parfois contient, contenait. Au travers de ses musiciens, de ses danseurs ; de ses soirées. De son ambiance cool & cold.
Et les citations aimées – auxquelles l’auteur donne tout leur souffle dans cette nerveuse Vie électrique– sont plus que des phrases musicales, tronquées ou entières. Ce sont des talismans, ouvrant la nuit ennemie, apportant des secousses d’illumination qui maintiennent le sommeil – saveur de l’immobile mobile – à l’écart des démons ; et c’est dans cette évocation de cette musicale mise à l’écart que le roman atteint sa plus haute intensité :
« Je dors et tout est contenu dans ma côte, dans le thorax, dans le souffle. Tous les éléments s’ouvrent à l’intérieur : pluie, oiseau, plume, herbes, éléphant, rhinocéros, baleine, roche, miel, balcon, mer, ciel, nuage, vent ; pluie, oiseau, plume… […] Que se produit-il au réveil ? Que vois-tu ? Rimbaud, dans le quatrième fragment de son poème Jeunesse, me répond : Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles. Le sommeil pourra-t-il un jour se métamorphoser au point que je ne le reconnaîtrai pas, ce qui serait le pire des sévices ? Que le sommeil suive les contours de ma mémoire et des gestes, oui, mais qu’il soit dénaturé par une puissance néfaste, non, non, ça ne peut pas se produire car mon sommeil est une forteresse infranchissable et il n’y a pas la moindre brèche pour que l’ennemi s’engouffre. L’ennemi contourne le château, s’impatiente depuis des milliers d’années, en vain. C’est ma victoire cachée. Il n’y a rien d’autre à retenir. Un jour, la disparition de mon corps dira : considérez bien toutes ces heures lentes et suaves, il y a cru, vous savez, il a aimé ça plus que tout au monde ».
Matthieu Gosztola
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