Vie de David Hockney, Catherine Cusset
Vie de David Hockney, janvier 2018, 192 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Catherine Cusset Edition: Gallimard
« Peins ce qui compte pour toi », telle est la devise de David Hockney depuis que son ami du Collège royal Ron Kitay lui a donné cet excellent conseil, l’amenant à puiser son inspiration dans ses ressources intérieures au moins autant que dans le monde qui l’entoure. Ce qui caractérise David Hockney, c’est cette gourmandise, cet appétit de la vie qui l’étreint, cette curiosité, cette envie irrépressible de connaître et d’expérimenter. Au fond de lui bouillonne un tempérament passionné et rebelle qui le pousse à s’éloigner des sentiers battus, mais pas au point de refuser les témoignages de confiance, d’amour et de reconnaissance.
Expositions et rétrospectives s’enchaînent alors qu’il n’a pas atteint la quarantaine. Chance, hasard, heureux concours de circonstances, mais aussi travail acharné, énergie et puissance ? La carrière de David Hockney est semée de réussites : c’est le parti-pris de romancière de Catherine Cusset, qui rédige un éloge de l’artiste, en même temps qu’un roman historique contemporain, inspiré et nourri de ses nombreuses lectures et de visionnages de films, un roman dont elle réinvente les passages lacunaires et névralgiques, donne vie aux dialogues, décrit des scènes.
Hockney, à présent octogénaire, a été remis à l’honneur par une rétrospective de son œuvre à Beaubourg en 2017 qui a porté le public français à le connaître et à l’apprécier.
La vie de David Hockney oscillera entre l’Angleterre (Londres et le Yorkshire), les Etats-Unis (New York et la Californie) et l’Europe continentale (Paris, la Dordogne, l’Italie…). Ce qui marque les années de formation de ce jeune Anglais né dans une famille modeste et aimante du Nord de l’Angleterre, qui décide d’entrer, coûte que coûte, à l’école des Beaux-Arts de Bradford, puis au Collège royal de Londres, c’est sa découverte éblouie des Etats-Unis, et surtout de Los Angeles, ainsi que sa rencontre amoureuse avec Peter, de dix ans son cadet. Il se prend aussi d’amitié avec l’écrivain Christopher Isherwood, son compatriote, qui, tout comme David, a décidé de vivre aux Etats-Unis parce qu’« il aimait le soleil et les beaux garçons, et ne supportait pas les préjugés de son pays natal ». L’amitié est comme un fil rouge dans la vie de David Hockney : Ossie, Celia et leurs bébés, Patrick, Ann, Henry, plus tard Mo son assistant, Dom et JP… Les portraits qu’il réalise sont ceux de ses amis, qu’il prend pour modèles. C’est la vie qui l’entoure qu’il met en scène dans ses œuvres.
Revenu à Londres avec l’Américain Peter, qui partage à la fois sa vie et la même passion artistique, dès ses trente ans David Hockney connaît la célébrité. Mais jalousies d’artistes, dépits puis douleurs d’amoureux jalonnent sa route pavée de succès. Peter le trahit et le quitte, David souffre, sa carrière lui échappe lorsque ses tableaux deviennent objets de spéculation et de profit, ou lorsqu’un film est réalisé sur sa vie, son œuvre. Il ne se sent plus protégé, cela l’effraie, et il comprend qu’« Il n’aurait pas de relation amoureuse stable, parce qu’il était marié à son art ».
La querelle de la figuration le voit prendre parti pour l’art figuratif, en opposition à l’abstraction développée par nombre d’artistes contemporains quitte à passer pour conventionnel ou réactionnaire. Son ouïe baisse : il devient sourd et assume publiquement sa surdité, comme il a assumé publiquement son homosexualité.
Il acquiert la villa avec piscine de Montcalm Avenue, dans les collines de Hollywood, qui accueille sa mère Laura après la mort de son époux, Ann, son amie londonienne, et son fils Byron, Paul, le frère aîné qui plus tard va gérer les affaires de David. Et puis c’est l’énigme du Santa Monica Blvd, triptyque qui déçoit profondément David, au point qu’il le retravaille longuement, comme il l’avait fait plus tôt pour son tableau Pool with two figures (1971), qui représente Peter au-dessus d’une piscine, avant de trouver un nouvel angle d’approche, une nouvelle perspective. Là encore il a l’intuition qu’il manque quelque chose au tableau. Il expérimente alors la perspective multi-focale, comme si plusieurs photographies aux points de vue différents étaient superposées sur la toile, selon l’endroit du tableau que l’on regarde.
Le secret pour créer est le suivant : garder son âme d’enfant, rester ouvert aux nouvelles expériences. David s’intéresse aux nouvelles techniques artistiques : la photographie, la vidéo – plus tard il utilisera l’iPad –, en les incorporant à ses œuvres. Il se lance à corps perdu dans cette nouvelle aventure de photomontages, donnant à voir un paysage comme le Grand Canyon sous de multiples facettes. Il s’inspire – d’abord sans le savoir, intuitivement – de la peinture chinoise, qui mêle l’intérieur et l’extérieur et laisse le spectateur flâner en imagination dans le paysage.
Toute sa vie, David aimera de jeunes amants : Peter, puis Gregory, puis Ian, puis John, et tant d’autres. Ses relations amoureuses sont devenues libres : plus de souffrance, plus de trahison. Mais la solitude le guette : la surdité, la mort de ses amis gay, le départ de Gregory, lassé par l’ambiance de drogue et d’alcool qui règne à Montcalm Avenue et du peu d’intérêt que lui manifeste David. Rien n’y fait, l’ascension continue : David répond aux commandes de décors de théâtres et d’opéras, il achète une villa voisine où il loge Ian et ses amis, il adopte le chiot Stanley comme compagnon, puis tombe amoureux de John, âgé de 23 ans et de 29 ans son cadet. Mais d’avoir trop voulu et trop travaillé on peut mourir : une première crise cardiaque le terrasse, dont il sort comme détaché. La mort rôde et emporte nombre des amis de David, du sida ou bien du cancer du pancréas. John le quitte à son tour, David s’attache à ses teckels. En même temps il fait des recherches sur les techniques d’optique des anciens maîtres qui, eux aussi, utilisaient des lentilles, ancêtres du miroir de l’appareil photographique. Il est attaqué par des universitaires, des peintres et des chercheurs.
A Londres, alors qu’il pose pour un portrait de Lucian Freud, il est fasciné par les fleurs printanières de Holland Park, leur diversité, leurs transformations journalières. Sensible comme Proust à la fuite du temps, ou comme les artistes japonais au passage des saisons, la floraison des aubépines le bouleverse.
Portraitiste ET paysagiste génial, tel est David Hockney. En 2003, après les attentats du 11 Septembre, il revient vivre dans le Yorkshire, à Bridlington, plus proche de la nature. Il y reste neuf ans puis retourne en Californie, à la couleur, à la chaleur. Il y est encore.
Sylvie Ferrando
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