Vers la beauté, David Foenkinos
Vers la beauté, mars 2018, 224 pages, 19 €
Ecrivain(s): David Foenkinos Edition: Gallimard
C’est avec La Délicatesse que David Foenkinos signait son premier grand roman et c’est avec délicatesse justement qu’il nous invite à entrer dans l’univers pourtant tragique de Vers la Beauté.
Camille est une lycéenne un peu particulière, très solitaire et peu encline à partager les activités communément prisées par les adolescentes de son âge. Mais l’on comprend rapidement qu’elle est dotée d’une sensibilité artistique exceptionnelle, qui l’entraîne loin de l’effervescence qui devrait être celle de ses jeunes années. Sa mère, Clara, et son père, plus en retrait, tous deux profondément aimants, l’encouragent dans cette voie, à la fois contemplative et créatrice, puisqu’elle semble être la seule à même de garantir son épanouissement personnel. Et en effet, elle se transforme, se révèle, aussi bien à elle-même qu’à son entourage, à compter du jour où elle s’initie à la peinture. Et puis survient le drame : deux minutes de violence irréversibles qui font basculer toute sa vie dans la béance de la terreur et du non-dit. Camille s’effondre, se terre dans le silence, s’abîme dans le désir de s’effacer, de disparaître, de ne plus être-au-monde.
L’auteur ne cherche pas à creuser des sillons hideux et saisissants dans la matière brute et infinie qu’est la souffrance humaine. Bien au contraire, il dépose la douleur, avec pudeur, à l’interstice de chaque mot, de chaque tournure de phrase, de chaque page qui se tourne. Elle n’en est pas moindre pour autant, mais à l’instar de ses personnages, on la reçoit et on l’absorbe, délicatement, tout en retenue. Car tout est vraiment une question de délicatesse dans ce très beau roman : délicatesse de l’écriture, sobre mais en cela signifiante, délicatesse des personnages, qui, malgré leur profonde détresse, conservent tous (hormis « le monstre ») leur bienveillance, leur empathie et leur humble dignité, et surtout extrême délicatesse dans la façon d’aborder frontalement des sujets très sensibles, comme le viol, et de faire entendre tous les sentiments qui se tissent autour de tels drames : colère, incompréhension, culpabilité…
Tout juste pourrait-on reprocher à l’auteur une certaine économie dans l’écriture, se faisant lisse ou parcimonieuse, lorsqu’il s’agit de pointer le mal, le sale, de « nommer l’innommable », mais le parti pris de la beauté justifie à lui seul cette esthétique de l’évitement.
On ne s’étonnera donc pas de refermer le livre avec un sentiment de légèreté quelque peu incongru au regard de la tragédie humaine qui vient tout juste de se jouer, mais comme le suggère le titre du roman, Vers la beauté, c’est avant tout le primat de la beauté sur l’horreur, qui cherche à se faire entendre. Et c’est un pari très réussi, Monsieur Foenkinos.
Christelle d’Hérart-Brocard
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