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Vercingétorix, Jean-Louis Brunaux (par Vincent Robin)

Ecrit par Vincent Robin 30.04.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Gallimard

Vercingétorix, février 2018, 330 pages, 22 €

Ecrivain(s): Jean-Louis Brunaux Edition: Gallimard

Vercingétorix, Jean-Louis Brunaux (par Vincent Robin)

 

Nos connaissances sur la Gaule non provinciale, du temps où elle perdit sa libre indépendance pendant le premier siècle avant notre ère, relèvent essentiellement des témoignages de guerre (les Commentarii de bello gallico) que Jules César façonna entre les années 58 et 52. Ce fut la période de ses interventions militaires poursuivies dans presque toutes les régions de ce vaste territoire composite et peuplé, dont il rendit compte point par point au sénat romain. Fédérateur de la résistance ultime face au futur dictateur romain lors de ses incursions en Gaule dite « chevelue », Vercingétorix apparut au final comme le dernier plus sérieux adversaire militaire que le proconsul trouva sur son chemin avant de soumettre à Rome l’ensemble de l’ouest européen continental. Mais la Guerre des Gaules, écrits uniques rapportant ces épisodes très largement à la gloire de leur rédacteur, suffira-t-elle jamais à raconter la vérité objective de cette courte décennie historique ? On sait que non. Montaigne reprochait déjà à César « les fausses couleurs de quoi il veut recouvrir sa mauvaise et pestilente ambition ». Parmi les observateurs critiques et contemporains du texte-rapport de Jules César publiciste de sa victoire, Jean-Louis Brunaux ouvre à son tour une perspective un peu moins manichéenne et orientée des évènements relatés, en suggérant les qualités méconnues du profil présomptif du grand vaincu d’Alésia.

Longtemps ignoré a posteriori de la chronique française, et durant de nombreux siècles, Vercingétorix, chef ultime d’une insurrection gauloise massive finalement douloureusement matée resurgissait toutefois avec vigueur de l’oubli au XIXe siècle, sous l’impulsion mégalomaniaque d’un second Napoléon en mal d’honneur impérial et d’identification à César. Hormis à travers ce qu’éclaira bientôt la numismatique, peut-on considérer maintenant que les fouilles archéologiques réalisées depuis les facéties « badinguesques » du vaincu de Sedan n’auront guère apporté de révélation bien lumineuse sur le personnage et la personnalité de Vercingétorix lui-même, ni, quoi qu’on en dise, sur le lieu exact du déroulement de sa défaite. Une statue de bronze gigantesque érigée sur le Mont Auxois en Bourgogne évoque encore de nos jours le double kidnapping napoléonien. D’abord celui de l’apparence physique du malheureux Gaulois affublé sans scrupules des traits du nouvel empereur, ensuite la très douteuse localisation d’Alésia (que malheureusement Brunaux ne remet nullement en cause) à Alise Sainte Reine, aujourd’hui encore appuyée par les confirmations « affairo-officielles » du sérail archéo-culturel français suspendu aux budgets étatiques, CNRS compris (l’Etat a formellement interdit toute fouille sur d’autres sites). Ainsi devenu icône et bientôt symbole de résistance guerrière unifiée, le chef Gaulois devint sensiblement après 1870 une incarnation et référence du génie national, notamment par propagande républicaine, tout comme Jeanne d’Arc par patriotisme belliqueux, lors du premier conflit mondial. Dans un ouvrage qui ne manque pas de citations référencées et, à partir d’elles, de considérations réalistes mais sans jamais renverser totalement les thèses préétablies, Jean-Louis Brunaux dresse si bien un portrait sensiblement inédit et audacieux du grand chef arverne, en le recoiffant peu ou prou des lauriers du mérite national qui s’étaient à nouveau flétris, passées les dernières exaltations circonstancielles et peut-être aussi depuis l’impétueuse chasse faite aux nationalismes par les tenants d’un « européisme » aveugle et appesanti par son insoutenable légèreté de bulldozer.

« Il était immensément grand et en armes présentait un air terrible » (p.113). Non de Jules César, cette rare description physique nous revient, selon l’auteur, de Dion Cassius, chroniqueur ayant cependant vécu deux siècles après l’étranglement de Vercingétorix à Rome. Quelle valeur accorder alors à un tel dithyrambe élaboré par un rapporteur ayant à coup sûr étudié J. C. auparavant, ayant pris fait et cause pour Rome en grandissant à souhait la taille et la valeur de l’adversaire afin que l’on prenne bien la mesure de l’exploit conquérant ?

Parfois en les dénonçant, mais plutôt docilement en réalité, Jean-Louis Brunaux multiplie dès lors ces « apports » historiques pour modeler à gré la physionomie et le caractère du héros de Gergovie, aussi digne de fournir, face à d’implacables lacunes, la matière propre à peaufiner finalement non moins que sa biographie. Selon les circonstances rappelées, non qu’il soit déplaisant ou même totalement incohérent d’apercevoir Vercingétorix bientôt intégré dans l’armée romaine préalablement à son insurrection contre elle, encore faudrait-il ne pas oublier aujourd’hui que cela n’aura jamais été consigné nulle part, sauf rétroactivement et par induction plutôt que selon des faits confirmés et établis. Comment un historien du CNRS, tellement avisé des transcriptions abusives (fake news) par ailleurs, n’a-t-il su se garder raisonnablement d’exploiter des données aussi fictives ? C’est bien là une question que se posera immanquablement le lecteur pas tout à fait ignorant des littératures assorties à ces sujets précis. Quand aussi J.-L. Brunaux publie concomitamment chez un autre éditeur un livre très démystificateur intitulé Les Gaulois, qui prévient justement des détournements opérés par certains littérateurs et historiens, latins ou grecs, pour garantir à Rome les bienfaits supérieurs de sa civilisation et légitimer ses incursions extérieures. D’autres questions de cohérence pourront également interpeller ceux qui liront le présent livre, notamment en lequel, le très bourguignon Mont Auxois avec sur lui le site supposé d’Alésia – alias ville des Mandubiens – se voit logé en « Séquanie » qui jusqu’à présent désignait pourtant avec certitude la région du Jura ? Certes la terre aura tremblé au temps d’Alésia, sous les sabots des cavaleries en furie… Au point toutefois de transporter un secteur géographique entier sur l’emplacement d’un autre ? Depuis le hercynien on n’aura pas vu ça.

Pour le reste, cette réhabilitation d’un chef autrefois vaincu et qui coalisa en toute vraisemblance une variété de peuples que l’on ne croyait pas aussi unis et « civilisés » nous ramène en ce livre d’une incroyable manière aux questions actuelles, où celle de la souveraineté nationale s’inscrit notamment tout encore au débat politique. A telle enseigne croirait-on parfois entendre fleurir dans la bouche d’un Diviciac qui se serait rendu à Montoire de façon prémonitoire cette phrase rassurante : « C’est librement que je me suis rendu à l’invitation de César. Je n’ai subi, de sa part, aucun “diktat”, aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J’en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement ». Tout le monde connaît la suite, sans même oublier que ces modalités discutées de longues années plus tard, notamment par referendum, purent ne point entraver du tout quelque mode pré-décidé de collaboration…

A la veille de consultations européennes et hormis l’aspect charnel du résistant Vercingétorix, un livre sur le passé des nations qui donne une particulière saveur au présent, et donc à lire sûrement avec beaucoup d’attention.

 

Vincent Robin

 


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A propos de l'écrivain

Jean-Louis Brunaux

Né en 1953, Directeur de recherche au CNRS, au laboratoire d'archéologie de l'ENS, Jean Louis Brunaux a dirigé de nombreuses fouilles sur les sites gaulois de Picardie, à Gournay-sur-Aronde, Saint-Maur, La Chaussée-Tirancourt et Montmartin. Il est à l’initiative de la création du Centre archéologique départemental de Ribemont-sur-Ancre(Somme) au début des années 1990.

Il a rédigé plusieurs monographies sur les résultats de ses recherches archéologiques ainsi que des ouvrages de synthèse. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la civilisation gauloise qui ont tous remporté un très grand succès.

 

A propos du rédacteur

Vincent Robin

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : histoire, politique et société

Genres : études, essais, biographies…

Maisons d’édition les plus fréquentes : Payot, Gallimard, Perrin, Fayard, De Fallois, Albin Michel, Puf, Tallandier, Laffont

 

Simple quidam, féru de lecture et de la chose écrite en général.

Ainsi né à l’occasion du retour d’un certain Charles sous les ors de la République, puis, au fil de l’épais, atteint par le virus passionnel de l’Histoire (aussi du Canard Enchaîné).

Quinquagénaire aux heures où tout est calme et sûrement moins âgé quand tout s’agite : ce qui devient aussi plus rare !

Musicien à temps perdu, mais également CPE dans un lycée provincial pour celui que l’on croirait gagné.

L’essentiel paraît annoncé. Pour le reste : entrevoir un rendez-vous…