Nos âmes la nuit, de Kent Haruf… Elle s’appelle Addie, il s’appelle Louis. Mais, elle pourrait parfaitement s’appeler Renée et lui, Hubert. Depuis des années, « ça ne date pas d’hier », tous deux vivent dans la même ville, dans le même quartier, « à un pâté de maison l’un de l’autre », chacun chez soi, dans un pavillon classe moyenne, jardinet pelouse toujours tondue, du moins dans cette bourgade américaine du Colorado, chiens qui pissent discrètement dans les rues, enfants qui ne les empruntent sagement que pour aller à l’école, ennui qui suinte derrière les rideaux où la morale est sous surveillance. Un silence mortuaire traversé néanmoins par les fibrillations vachardes de l’espionnage entre voisins. La calomnie fait son beurre dans le qu’en dira-t-on. Cela fait un bon moment qu’Addie et Louis, tous deux septuagénaires avancés, sont veufs. En bons voisins qui se connaissent de vue, ils se saluent poliment quand ils se rencontrent, bien que l’un et l’autre sortent peu. Un jour, ne supportant plus ses insomnies qui affûtent férocement sa solitude où les heures se délitent mollement, Addie traverse la rue, sonne à la porte de Louis et lui demande s’il consentirait à « venir de temps à autre chez moi pour dormir avec moi ». Elle l’a repéré, il a l’air d’un « brave homme, d’un homme bien ».