Œuvres romanesques, V, William Faulkner en La Pléiade
Œuvres romanesques, T. V, novembre 2016, 1192 pages, 62 € jusqu’au 31 mai 2017, 70 € après
Ecrivain(s): William Faulkner Edition: La Pléiade Gallimard
Ce tome V des œuvres complètes de William Faulkner n’est pas le dernier. Gallimard annonce la publication, en février 2017, du tome VI, consacré aux nouvelles du géant du Sud. Ce volume offre les deux derniers romans de la Trilogie des Snopes, La Ville et La Demeure. Le premier, Le Hameau, clôturait le tome IV.
Suit, en clôture de ce volume, le dernier roman de Faulkner, Les Larrons, publié en juin 1962, quelques jours avant la mort de l’auteur.
Le premier bonheur pour le lecteur est ici la qualité de la traduction réalisée par l’équipe placée sous la direction de François Pitavy et Jacques Pothier. La rupture avec la tradition malheureuse des traductions académiques est totale. Le langage parlé, le choix des équivalents idiomatiques, la personnalité propre du parler de chaque personnage sont ici une parfaite réussite. Le lecteur non anglophone y trouvera un Faulkner d’une qualité jamais égalée.
« – C’est le règlement de la maison, a dit Mr Binford. Une maison sans règlements, ce n’est pas une maison. Le problème des putes comme vous, c’est d’avoir à vous conduire comme des dames de temps à autre, mais vous ne savez pas comment. C’est ce que je vous apprends.
– Vous n’avez pas le droit de me parler comme ça, a dit la plus âgée.
– D’accord a dit Mr Binford. Renversons la proposition. Votre problème, mesdames, c’est que vous ne savez pas comment cesser de vous conduire comme des putes » (Les Larrons, chapitre V, p.881).
Le roman Les Larrons présente un intérêt particulier car c’est le tout dernier regard de Faulkner sur son Sud profond, sur les gens, les mentalités, le sexe, le racisme, la misogynie. Le Sud, glauque, que William Faulkner peint, sans jamais laisser paraître une opinion. Il peint ce qu’il voit, ce qu’il entend. C’est un peintre, pas un moraliste, comme dans toute son œuvre. Néanmoins il est clair que Faulkner n’a guère de tendresse pour les petits blancs. On sent son mépris, sans savoir vraiment si ce mépris est adressé aux gens du Sud ou au genre humain tout entier. La misanthropie de Faulkner on la connaissait déjà depuis Absalom, Absalom ! et elle accompagne toute l’œuvre, jusqu’aux derniers mots jamais écrits.
Quant aux deux derniers romans de la trilogie, on y retrouve bien sûr Flem Snopes, qui, dans La Ville, assiste, avec une étrange et trouble délectation, aux amours de sa femme et de son amant, étalées à présent au grand jour. Ce livre d’ailleurs est une saisissante réflexion sur la modernité de l’homme – au sens mâle – aux prises avec les affaires, les femmes, le sexe. Ce sont des thèmes récurrents de l’œuvre de Faulkner mais le propos ici saisit par une sorte d’amertume, presque de nostalgie du temps passé, en même temps qu’une critique virulente de la société de consommation.
Propos d’ailleurs qui sera le fil rouge du troisième et dernier volume de la trilogie, La Demeure, où Faulkner raconte le déploiement d’un ambitieux programme immobilier et où l’amertume de Flem atteint son sommet.
« Aussi, quand il revint vers les lueurs et le murmure de la ville, le bourdonnement sonore du béton, quoique toujours en éveil, donnait une sensation d’épuisement comme d’une fumée ou d’une vapeur qui s’élève et se dissipe, et ce qu’il en restait planait maintenant parmi les corniches et les rebords des toits ; les rares automobiles qui passaient à présent, encore étincelantes de feux colorés, semblaient cependant s’enfuir, terrifiées, de solitude en solitude » (La Demeure. Flem XII. p.635-636).
Une traduction de rêve, un appareil critique complet et d’une précision remarquable, La Pléiade nous offre un Faulkner probablement définitif. Les vieux faulknériens et ceux qui découvriront ici son œuvre se réjouiront.
Léon-Marc Levy
VL6
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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