Une vie en mouvement, Misty Copeland
Une vie en mouvement, mai 2016, 338 pages, 18 €
Ecrivain(s): Misty Copeland Edition: Christian Bourgois
Une vie en mouvement raconte la réussite prodigieuse de Misty Copeland, première danseuse étoile, qui tout en intégrant tardivement, à l’âge de treize ans, un petit studio de danse classique, va se révéler être un véritable prodige, d’autant plus extraordinaire qu’elle est la première jeune fille Afro-américaine à être admise à l’American Ballet Théâtre. « Le ballet fut longtemps le domaine des Blancs et des riches » dira-t-elle.
C’est au prix d’un travail acharné, en plus d’un talent indéniable et d’une réelle vocation, travaillant sans relâche sa technique, menant en parallèle une vie familiale compliquée, qu’elle deviendra par exemple la première femme noire dans le rôle emblématique du ballet de Stravinsky, où elle sera l’Oiseau de feu.
Issue d’une famille très modeste dont la mère « belle comme Mariah Carey » collectionne les amants, déménageant sans cesse, elle vit au milieu d’une fratrie nombreuse mais toujours joyeuse. Malgré la pauvreté des moyens, la joie, les cris et les rires emplissaient sa vie avant qu’on ne la révèle.
Ensuite, elle vivra de manière beaucoup moins insouciante, écartelée entre ses rêves et ses besoins d’une sécurité affective bien normaux pour une enfant, et des difficultés qu’elle devra surmonter en même temps que ce travail exigeant. On partagera la joie qu’a pu être la sienne d’accepter dans un premier temps de suivre celle qui lui ouvrira toutes les portes en « l’adoptant » puis, on regrettera la colère de sa mère qui cherchera à la « récupérer », n’hésitant pas à faire des procès à celle qui l’a révélée. Mais rien n’arrêtera jamais Misty, convaincue que de toute façon, ce n’est pas seulement pour elle qu’elle fait tout cela. Reviendra ainsi plusieurs fois dans le premier chapitre et le dernier, cette phrase inscrite en italique qui en souligne toute l’importance : « Je fais cela pour toutes les jeunes filles à la peau brune ».
Jeune fille créative qui aime les plaisirs simples, coudre, confectionner, imaginer, rêver, elle reconnaît sa chance, celle d’avoir rencontré la bonne personne au bon moment et qui lui a dit très tôt : « tu danseras devant des rois et des reines. Tu auras une vie que la plupart des gens n’osent imaginer ». Mais aussi que la ballerine parfaite, selon Balanchine « a une petite tête, des épaules tombantes, de longues jambes, de grands pieds et une cage thoracique étroite… c’est toi… tu es parfaite ». Si les doutes sont rares dans le récit, ils existent et se manifestent à chaque moment de crise, mais ce qui domine le récit c’est la passion, cette force de conviction qu’elle possède un talent et une chance extraordinaires.
« Certains danseurs ont le physique qu’il faut pour la danse, et d’autres ont des aptitudes. Toi tu possèdes les deux. Tu vas devenir une star… Tu es l’enfant de Dieu », disait Cindy, sa bonne fée.
« J’avais beau posséder dix ans de formation de moins que mes rivales, je disposais d’un atout qui leur manquait : une étincelle, une volonté intérieure nullement liée au nombre de fouettés que j’enchaînerai ou à la hauteur à laquelle je lèverai la jambe mais plutôt à la passion et au potentiel que les juges sauraient déceler en moi » rajoute-t-elle très consciente d’elle-même.
Parfaire les pas d’exception, d’une précision invraisemblable, issue d’une technique multiséculaire, apprendre « à [son] corps à dépendre d’une mémoire musculaire en reproduisant ces pas en répétition» de façon à se concentrer ensuite sur scène uniquement à la grâce, en dépit des imprévus scéniques, voilà son objectif.
« Le corps d’une ballerine est l’instrument avec lequel elle crée sa musique… »
Misty reconnaît malgré tout et cela se ressent dans le récit que sa confiance en elle tout ce temps lui venait de sa naïveté relative aux préjugés qui entachaient le monde de la danse classique. Et c’est tant mieux !
« Dans le monde de la danse, il existe un genre que l’on appelle “le ballet blanc”. Le Lac des cygnes est un de ceux-là, tout comme La Bayadère et Gisèle ».
Etre la seule fille noire à jouer des rôles où les animaux doivent paraître blancs… voilà qui intriguait. Un article de 2007 intitulé « Où sont tous les cygnes noirs ? » lui fera prendre encore plus conscience des préjugés raciaux et lui donnera au fil du temps toujours plus d’acharnement à réussir. Il faudra se battre dix fois plus, être dix fois meilleur, lui dira son ami Arthur Mitchell qui a créé une école à Harlem. « Entre dans une pièce en sachant que tu es quelqu’un, une personne singulière. Ne les laisse jamais annihiler cela ou te tirer vers le bas » rajoutera le responsable du Dance Theatre de Harlem.
Dans ce récit plein de péripéties sur son parcours familial et professionnel précoce, on suivra sa facilité à entrer dans le travail exigeant de ballerine, « le mouvement rythmique me venait aussi facilement que la respiration » ; ses luttes contre ses migraines à répétition, terriblement douloureuses, certainement liées au stress que lui fait vivre la terreur permanente de commettre une erreur ; son talent récompensé sans cesse qui fait d’elle un petit prodige, une « enfant de Dieu » ; les premiers concours difficiles ; les premières critiques racistes après les représentations, venant du Net (et avant celles-ci, celles d’un de ses beaux-pères) ; le traumatisme de l’émission télévisée à laquelle sa mère l’a obligée à participer durant le procès contre celle qui l’a découverte ; son amitié avec Prince qui la réclamait souvent, la faisant chercher dans une limousine noire ; son retard physique à devenir femme (pas encore de règles à dix-neuf ans, ce qui la conduit chez un médecin), sa terreur à voir son corps s’arrondir ; la boulimie et la révolte ; ses retrouvailles avec son père ; son premier petit ami… et enfin, un accident très douloureux à l’issue d’une performance et de volonté de tenir malgré les douleurs cumulées depuis longtemps (six fractures de fatigue sur ses jambes)… qui lui fera prendre la mesure du chemin parcouru.
Finalement elle dira en toute fin :
« Je serai toujours en lutte, dansant comme si c’était mon dernier spectacle.
Et je vais aimer chaque minute de cette vie ».
Par ce livre, Misty a voulu servir d’exemple et affirmer qu’avec de la volonté et du courage on peut tous réussir ses rêves. Elle a voulu montrer au monde le combat qui a été le sien pour devenir ce qu’elle voulait être, une « prima ballerina », un combat mené contre le monde tel qu’il est mais porté par une détermination et une foi incontestable, une foi inspirée qu’on peut aussi appeler chance si on ne croit pas au destin.
Marie-Josée Desvignes
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