Un voyage humain, Marc Pautrel
Un voyage humain, 2011. 75 p. 11 €
Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard« Il fait très froid mais le ciel est magnifique, bleu acier avec un soleil éblouissant et venté, un grand souffle lumineux qui balaie les hauteurs de la ville. Il ne lui reste plus qu'à attendre deux jours, que je reçoive la carte, que je l'appelle, que je réponde, oui ou non, elle pense que oui, elle n'est pas sûre. »
Ce sera oui, oui exprimé avec force. Oui face à quoi ? Face au désir d’enfant. Un oui ébloui. Par ce oui commun à ce couple est exprimé le désir conjoint d’avoir un enfant, désir d’un voyage à deux vers la paternité et la maternité, voyage qui ne sera pas exempt d’embuches, bien au contraire, voyage qui est bien, par excellence, le « voyage humain », que Marc Pautrel nous dépeint avec des phrases qui ont toujours une façon de nous surprendre, l’auteur s’attachant à faire en sorte que soit toujours rompu l’équilibre rythmique, afin que se crée, à la lecture, une petite musique qui soit à même de nous dire quelque chose des désirs, des angoisses, des attentes du narrateur, bien davantage encore que ne le font les évocations psychologiques que nous donne l’auteur.
Par ce jeu, notamment du fait des virgules, sur la rythmique de la phrase, la rendant bancale, exempte de toute régularité pouvant créer un équilibre qui ait pour conséquence de rendre notre écoute monotone mais douce, la heurtant presque à force de surprises, Pautrel parvient, lorsqu’il s’exprime suivant le pathos, à le faire sans aucune mièvrerie, puisque toujours sa voix épouse les inflexions de sa sincérité.
Comment la sincérité peut-elle advenir dans le langage qui est justement un media et qui par conséquent fait obstacle, fortement obstacle, entre une psyché et son rendu ? Telle est la question que se pose inlassablement Marc Pautrel tout au long de ce court roman, usant de toutes les postures possibles, de l’implicite au pathos le plus criant, pour parvenir à exprimer l’intensité du désir d’enfant puis celle de la tristesse face à l’impossibilité de sa concrétisation.
Aussi est-on stupéfait de voir à quel point le nombre extrêmement réduit de pages d’Un voyage humain n’est nullement un obstacle au voyage que fait le lecteur à travers toute la palette du ressenti du narrateur et de sa compagne (aussi fait-il, quant à lui, un voyage dans l’humain), de l’excitation et la joie la plus franches à la désolation la plus vive. C’est comme si l’ouvrage se tenait dans un retrait, du fait de sa brièveté, pour nous laisser advenir, pour nous laisser nous attacher à lui, presque matériellement. C’est comme si l’ouvrage en lui-même s’agrandissait à nos propres expériences pour faire en sorte qu’elles ajoutent leur substance à la substance du livre, faisant en sorte que celui-ci nous renvoie davantage à nous-mêmes qu’à la façon dont l’auteur a pu vouloir, à travers le choix d’un narrateur lui correspondant, parler de son propre désir de paternité.
C’est en ce sens que ce livre est bien plus que simplement un livre faisant advenir, par la trame narrative tout à la fois chantante et empêchée dans son chant (de par notamment le jeu avec les virgules évoqué plus haut), un désir constamment empêché qui soit le plus haut désir possible : c’est, d’abord et avant tout un livre profondément humain, dans la façon qu’il a de nous inscrire, incidemment, dans sa trame, afin que nous la fassions résonner. Avec notre vécu, avec nos rêves.
Matthieu Gosztola
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