Un peigne pour Rembrandt, et autres fables pour l’œil, Daniel Kay (par Patrick Devaux)
Un peigne pour Rembrandt, et autres fables pour l’œil, Daniel Kay, mai 2022, 107 pages 12,50 €
Edition: Gallimard
Voici la poésie « peinte » à l’instar des natures mortes. Voyage entre « consonnes épiphanes » et « Souvenir du Quattrocento » quand la nature, primordiale, sert de vecteur à une poésie qui macère l’idée, imprègne l’instant tel un vif trait de peinture tandis que les cinq sens font le reste : « Ce serait seulement quelques objets regardés avant même de recevoir le nom des couleurs, la forme des figures, quelques présences… ».
Tout serait Art à allumer les étoiles, à parfaire le langage qui devient résultante des ressentis. On ne se lasse pas de cette fabrication d’images en continu tandis que l’auteur semble faire grand cas d’une sorte de liaison esthétique entre nymphes et statues.
Les interprétations picturales sont détournées en autant de fables qu’il y a de sources d’inspiration.
Le tragique transparaît parfois entre corps vautrés « dans cette grande housse de plastique où coule la chair comme le fleuve dans sa gangue de ténèbres » tandis que les ombres, cependant, peuvent faire rayonner les objets puisque, « éternelles amies de la chandelle, elles donnent à être ».
Dans l’esprit de l’auteur la couleur est bien un langage : « Alors patiemment rangés avant l’inventaire, le rouge, le vert et le bleu s’inventent des langues insensées, de ces mots lents criblés de terre, de minutes et de feuilles ». Hommage à la « peinture qui crève les yeux ».
Daniel Kay est « outre la couleur » comme Soulages parle de son concept de « L’outrenoir ».
La répétition des images s’affirmerait ainsi en générations successives « dans l’immense retable des siècles » tandis que paraboles se veulent scènes villageoises ou références historiques avec, par exemple, cette « vision de Max à Drancy » ou encore avec l’éternité suggérée dans les gestes de Rembrandt : « Il faut qu’il peigne encore et encore, qu’il peigne pour creuser dans la nuit et atteindre la lumière ».
Dans ce contexte, l’espace-temps semble aboli.
Seule compte la présence. De préférence évoquée fortement. C’est le cas quand l’auteur mêle les genres entre peinture, cinéma osant la touche d’humour bien placée : « On dit parfois que le Tintoret inventa le cinéma. Les évêques, eux, aiment bénir les vierges qui posent sur papier glacé. Entre cousins et cousines, ils font l’amour à la va-vite dans des salles obscures. De surcroît, ils adorent les films de Visconti, les mannequins aux faux airs de Marie-Madeleine pénitente et les pages du catalogue automne-hiver pleines de ciboires et de scapulaires ». On croit comprendre un passage à un certain surréalisme modernisé dans le sens d’une provocation assez convenue dans le sujet mais efficace dans la juxtaposition des images qui donnent parfois le tournis.
Cette tentative d’approcher l’Art autrement et souvent par le détail imagine la scène initiale autrement que représentée. Ce qui nous fait découvrir l’évidence autrement et plus habitée que la représentation elle-même.
Patrick Devaux
Après des études secondaires à Morlaix, Daniel Kay est, au terme d’études supérieures à Brest et à Rennes, agrégé de lettres modernes. Il a publié des poèmes dans les revues NRF, Théodore Balmoral, Hopala !, Traces… Depuis 2003, il contribue à des livres d’artistes et des éditions bibliophiliques avec les peintres Mohammed Idali, André Jolivet, Rodolphe Le Corre, Thierry Le Saëc, Maya Mémin, Bertrand Menguy, Yves Piquet et Michel Remaud, ainsi qu’avec la photographe Véronique Sézap. Il écrit également sur la peinture et peint lui-même, prolongeant ainsi son travail poétique dans le compagnonnage de ses amis peintres.
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