Trahisons, suivi de Hot-House, Un pour la route, Harold Pinter
Trahisons, suivi de Hot-House, Un pour la route, et autres pièces, adaptation française d’Éric Kahane, 277 p. 21,50 €
Ecrivain(s): Harold Pinter Edition: Gallimard
Dans ce recueil de pièces, l’on retiendra surtout Une sorte d’Alaska (A Kind of Alaska). Cette courte pièce fait partie de la trilogie Other Places (avec Victoria Station et One for the Road) créée au National Theatre de Londres (en 1982) et reprise en 1985 au Duchess Theatre. Ce n’est que deux ans plus tard que la trilogie sera créée en français, et ce au Festival d’Avignon de 1987, par la Comédie-Française.
Pour l’écriture d’Une sorte d’Alaska, Pinter s’est inspiré de Awakenings (Éveils) du docteur Oliver Sacks, ouvrage publié à Londres en 1973. Ce qui a percuté la toile de son attention au point que les remous prononcés sur le tissu soient suffisamment durables pour qu’ils donnent son impulsion et son cours à une pièce, c’est tout ce qui concerne les effets sur l’organisme de l’encephalitis lethargica, variété rare d’encéphalite virale communément désignée sous le nom de « maladie du sommeil européenne » (même si Pinter semble également s’être inspiré de ce mal qui caressa de son manteau d’ombre et de froid la littérature de la fin du dix-neuvième siècle, à savoir la catalepsie).
Deborah – le personnage principal de la pièce – est précipitée, enfant, dans le gouffre que façonne cette maladie du sommeil. Elle est précipitée dans un sommeil qui n’est pas un sommeil, un sommeil sans contours, et que ne peuplent peut-être pas les rêves. Et, alors qu’elle se réveille, ou plutôt qu’on la réveille, trouvant à lui injecter le bon médicament, elle a environ quarante-cinq ans.
C’est une grande part de sa vie qui lui a échappé, qu’elle n’a pas vécue.
Elle se réveille dans le corps d’une adulte alors que sa conscience est toujours celle d’une enfant, son ipséité ayant été figée dans la glace des glaciers pendant toutes ces années.
Si le décor est minimaliste (« Une simple chambre blanche. Portes. Une fenêtre. Un lit blanc. Une table et deux petits fauteuils »), ce n’est pas seulement du fait de l’influence – par ailleurs importante – de Beckett sur Pinter. C’est surtout parce que tout se joue par la parole. Dans la parole : c’est là le véritable lieu.
Et c’est par la parole que Deborah accouchera d’elle-même. Qu’elle saisira sa vie comme un tout, par-delà l’antériorité prophétique de l’enfance (Sartre). Et c’est par la parole que tous les possibles s’ouvriront à elle. S’ouvriront à elle sans demander leur reste, simplement parce qu’elle le concevra ainsi. Simplement parce qu’elle le dira.
DEBORAH. Vous dites que j’étais endormie. Vous dites que maintenant je suis réveillée. Vous dites que je ne me suis pas éveillée d’entre les morts. Vous dites que je ne rêvais pas avant et que je ne rêve pas maintenant. Vous dites que j’ai toujours été vivante et que je suis vivante maintenant. Vous dites que je suis une femme. (Elle regarde Pauline puis revient à Hornby.) Elle est veuve. Elle ne va plus à ses cours de danse. Maman et papa et Estelle font une croisière autour du monde. Ils ont fait escale à Bangkok. Ce sera bientôt mon anniversaire. Je crois que j’ai tout en perspective. (Un temps.) Merci.
Ce « Merci » par quoi se clôt la pièce appartient au sublime.
Ce simple mot contient, entre autres choses, ceci : à tout âge, et en toute situation, et en toute condition, on se retrouve Nel mezzo del cammin di nostra vita (Au milieu du chemin de notre vie), pour reprendre, de sa bouche, le souffle de Dante – et de cela il faut, non se contenter mais hautement se réjouir.
Matthieu Gosztola
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