Tombeau de Jorge Luis Borges, Daniel Kay (par Didier Ayres)
Tombeau de Jorge Luis Borges, Daniel Kay, Gallimard, juin 2021, 128 pages, 14 €
Poésie savante
Le recueil de Daniel Kay prend un risque inconscient de faire du poème une idée. Mais la poésie est poreuse parfois et laisse s’installer en elle des matières altérantes. Ici, au contraire, cette porosité reste accueillante à la culture savante, culture qui sort tout à fait des sentiers battus de la scolastique. Le poème évoque, représente, fait occurrence de fins et raffinés points d’appui, sans oublier un peu d’ironie, des propos plus légers, restant sans cesse avec ce qu’il y a de haut dans la littérature.
J’aimerais aussi dessiner cet ouvrage d’un schéma en étoile. Tout d’abord au sujet des voies prises par le poème, qui nous relient à nous-mêmes comme dans la position de l’étoile de mer du yoga. De plus, au sens strict de la composition d’un ciel, comme par exemple le ciel de la Voie Lactée. Ainsi, ce Tombeau de Daniel Kay revêt l’aspect d’une étoile supplémentaire au ciel Lacté. On y croise tant de si grandes pléiades : Saint Jérôme, La Bible, Borges, Proust, etc., que l’émerveillement se poursuit dans le livre en une sorte de porte céleste au milieu de tant d’éminences spirituelles.
À l’étage du penty rempli de livres, de pipes et de papiers froissés, la voix de Kathleen Ferrier entonne un lied de Mahler. À quelques kilomètres de là sur la plage, pas de palais vénitien ou de Tadzio au visage d’ange mais le lamento du vent qui caresse les mouettes et berce les enfants morts.
Livre-étoile donc, labyrinthe de labyrinthes, Voie de Lait écrite comme en relation au soma indien, pierre d’angle qui fait tenir l’édifice de ce Tombeau. Poésie qui ne supplée pas aux livres ni aux œuvres mais les happe, les rend siens. Est-ce une échappatoire ? Lire est un tel soin intérieur que s’échapper revient à pénétrer dans ce vortex de l’écriture et de ceux qui font action d’écrire !
Dans les classes de province
le sarrau du petit Robin
porte le sang d’un calice.
Zénon, lui, se déhanche
et plante ses flèches immobiles
sur des blessures arides.
Didier Ayres
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