Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson
Sur les chemins noirs, octobre 2016, 144 pages, 15 €
Edition: Gallimard
A la lueur des « chemins noirs »
Sylvain Tesson nous avait habitués jusqu’ici aux grands dépaysements, aux échappées au cœur des Steppes (Carnets de Steppes, Glénat, 2002), aux voyages solitaires Dans les forêts de Sibérie (Gallimard, 2011). Dans Berezina (Guérin, 2015), il relatait le voyage qu’il fit en side-car avec des amis, sur les traces de la Grande Armée, de Moscou aux Invalides pour commémorer de manière singulière le bicentenaire de la retraite de Russie. Mais voilà, en mai 2014, l’écrivain baroudeur perd sa mère puis, trois mois plus tard, il chute lourdement alors qu’il escalade la façade de la maison d’un ami, à Chamonix. Ses côtes, ses vertèbres et son crâne sont brisés. « Revenu à la vie », puis de longues semaines « corseté dans un lit », il décide alors de traverser la France à pied, du sud-est du pays au nord du Cotentin. Mais pas n’importe comment : en empruntant ces « chemins noirs » – petites lignes que l’on distingue péniblement sur les cartes IGN au 25000e – « réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides ».
La marche est un exercice du corps et de l’esprit. Le corps avance sur les chemins rimbaldiens (« une géographie d’allées forestières avec de temps en temps une auberge où les chopes de bière mousseraient sur des tables en bois »), l’esprit vagabonde sur les sentiers du passé, des lectures, des rêves. Sylvain Tesson cherche avant tout une disparition « dans la géographie », une perte dans l’hyper-ruralité française, en quête de silence et d’absence. Il faut éviter le monde pour se retrouver soi-même. La géographie terrestre rencontre souvent la géographie intérieure, intime.
La marche est aussi pour Tesson un retour à la vie, pas seulement symbolique mais aussi physique, organique : « Ma jouissance se nourrissait du retour de mes forces. Guérir tenait du processus végétal : la santé se distribuait dans l’organisme comme les fibres de la plante ». Bien sûr, il n’est plus le même, ses pas sont plus lents, le Viandox a remplacé les alcools forts, les enfants et les chiens le regardent étrangement dans les rues des villages qu’il traverse, à cause de sa paralysie faciale qui le fait grimacer. Mais loin de tout, il retrouve l’essentiel et fuit le pire : « les coups de téléphone et la queue dans les magasins, c’est-à-dire la défaite du temps et de l’espace ».
Ce voyage « né d’une chute » n’est pas celui d’une initiation mais plutôt celui d’une reconfiguration. Il remet le temps et l’espace au centre de la vie, il cartographie l’essentiel, localise les étapes d’un nouveau départ, plus intérieur. « Toute longue marche a ses airs de salut », note Tesson à la fin de son périple. Le lecteur qui le suit fera probablement le même constat et se livrera à des réflexions similaires : les chemins noirs sont lumineux, ils nous ramènent à nous-mêmes et nous promettent d’autres beaux voyages…
Arnaud Genon
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