Rue Darwin, Boualem Sansal
Rue Darwin, coll. Blanche, août 2011, 255 p., 17,50 €
Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: GallimardLa quête des origines
« Va retourne à la rue Darwin ». C’est par cette phrase qui exprime à la fois une recommandation et le mystère que l’écrivain algérien d’expression française, Boualem Sansal, nous invite à nous immerger dans le corps de son dernier roman, Rue Darwin.
Narrée dans un style simple au sens pourtant profond, l’histoire de Yazid, dit Yaz, le personnage principal, nous entraîne, par le truchement d’une écriture intimiste, au cœur de son pèlerinage à rue Darwin. Ce lieu-mémoire où il passe « une semaine sainte ». Son objectif ? Percer le secret de sa naissance. Et tordre le coup à ce sentiment d’illégitimité et de honte qui ne cesse d’étreindre son cœur par la faute de ce mystère qui plane sur sa filiation.
Et lors de son voyage initiatique, Yaz revient sur les traces de son enfance et de son adolescence. Réveille les douleurs archaïques. Fait face à ses démons. Brise le silence. Et nous propulse dans le monde de sa défunte grand-mère, Lala Sadia dite Djéda, riche propriétaire et femme puissante.
Guidé par un sentiment de non appartenance à la terre où il est né, cet « enfant de toutes les guerres » qui a assisté aux changements qui se sont opérés au plus profond des entrailles de cette terre, se met à raconter son pays. A revisiter son histoire. A interroger ses travers. C’est ainsi qu’il émerge comme un précieux témoin d’une multitude d’évènements sur lesquels il pose un regard sombre et empreint de tristesse.
De découverte en découverte, Yaz va parvenir à rassembler les pièces manquantes à son puzzle identitaire et accéder à la Vérité. Bouleversé par son histoire de vie, il décide alors de partir loin de ce pays où il n’a pas de place. « Me voilà arrivé au bout de ma route. Je vais maintenant partir, changer de pays, et apprendre à vivre hors des conventions et des pactes… », confie-t-il à la fin de sa triste histoire.
Déplacé. Rejeté. Meurtri, Yaz s’apprête à s’exiler loin de ce monde jadis peuplé de figures féminines fortes, assoiffées de pouvoir, belles, farouches, tendres, rebelles, soumises et affectueuses qui font et défont les destinées. Des femmes blessées dans leurs entrailles, qui se vengent de la vie, de ses injustices et de ses coups bas. Lala Sadia, la grand-mère aux pouvoirs surhumains morte dans des conditions suspectes. Karima, la belle-fille qui aime Yaz comme son propre fils. Faïza, l’orpheline de la grande maison qui a pris la relève de Djéda. Farroudja qui joue le rôle d’une « vraie maman de secours ». Et toutes ces femmes qui ont peuplé la maison de Djéda et le bordel qui sont au cœur de ce roman où l’histoire personnelle se mêle à l’histoire nationale dans une société où « mentir, travestir, arranger » sont les trois clés de la bienséance et du bonheur.
Lire Rue Darwin est un véritable plaisir, voire une partie de jouissance intellectuelle. Au fur et à mesure que le narrateur homodiégétique avance dans l’élucidation du mystère de sa naissance, il capte toute notre attention nous incitant à aller jusqu’au bout de cette histoire qui prend l’allure d’un conte où la Vérité finit par triompher sur le mensonge, le déni et l’omerta.
Tout au long du récit, le personnage narrateur qui émerge comme un témoin de plusieurs mondes incarne le rôle d’une mémoire qui se réveille d’une amnésie de plusieurs années pour se souvenir des histoires d’un passé douloureux et d’un présent trop souvent encombrant…
Rue Darwin confirme bien le talent littéraire de Boualem Sansal, l’auteur d’un roman où l’écriture de l’aveu et de la confession confère à l’histoire une dimension humaine qui nous incite à nous questionner sur le monde qui nous entoure, sur le passé et le présent afin de mieux appréhender l’avenir.
Nadia Agsous
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