Retour à Séfarad, Pierre Assouline
Retour à Séfarad, janvier 2018, 426 pages, 22 €
Ecrivain(s): Pierre Assouline Edition: Gallimard
Retour à Séfarad met en scène un candidat, juif séfarade, à l’obtention du passeport espagnol, démarche rendue possible par une déclaration du roi d’Espagne Sa Majesté Felipe VI qui affirme dans un discours prononcé en 2015 en guise de conclusion : « Comme Vous nous avez manqué ! ». Hommage rendu à la participation des séfarades à la vie espagnole, à la transmission à leurs enfants de l’amour de cette patrie espagnole, ce discours interpelle Pierre Assouline, qui prend au mot le discours du roi. Il sera candidat au passeport, à la nationalité espagnole. Seulement voilà : cinq siècles ont passé depuis l’expulsion de 1492, et bien des changements ont eu lieu. Pour Pierre Assouline, les tentatives de retrouvailles de la maison familiale, du cimetière, de l’ancien quartier juif, la juderia, peut-être rasée, sont vouées à l’échec ; il lui suffit de « savoir que notre mémoire précède notre naissance. De mon expédition dans ce passé-là où je suis parti retrouver des paroles, des voix, un souffle gelés dans l’hiver des livres, je n’espère pas rapporter des vérités mais tout au plus des effets de vérité. Non des preuves mais des traces puisque, comme le dit René Char je crois, seules les traces font rêver ».
En fait, les démarches pour obtenir cette nationalité se révèlent d’une complication décourageante, elles constituent un parcours d’embûches : les candidats doivent prouver leur lien à l’hispanité, suivre des cours de langue et de civilisation espagnole à l’institut Cervantès de la rue Quentin Bauchart, rue située près des Champs-Elysées à Paris. Pierre Assouline souligne avec grand à-propos le rôle qu’a joué selon lui Cervantès en exposant en quelque sorte « l’ironie dévastatrice, la distance et même la morale de l’échec (…) mais avant tout la leçon de liberté que donne Cervantès aux écrivains ». Mais comment se souvenir, retrouver ces racines d’il y a cinq siècles ? En parcourant ces villages abandonnés par suite de l’exode rural ou l’extinction naturelle de ces localités faute d’habitants, l’auteur du récit y voit comme une manifestation de la permanence : « Peut-être n’aurais-je pas été dans toutes les villes de mes ancêtres qu’à seule fin d’écouter le silence, de goûter la qualité de ce silence-là (…) Si de ce voyage je ne rapportais qu’une version personnelle du silence espagnol, je n’aurais pas voyagé pour rien. Cela relève d’un profond mystère : ils sont partis depuis des siècles mais leur présence métaphysique ne les jamais désertés ». Cette quête de l’identité, de ses possibles contours, de sa définition, de son extension, Pierre Assouline la situe dans une nécessité vitale : celle d’échapper à toute assignation, de ne pas regarder la notion d’identité comme un gros mot, en citant Marc Bloch et René Roudaut, ancien ambassadeur énonçant très prosaïquement « L’identité, ce n’est pas l’empreinte Bertillon ! ». Identité sans assignation, sans rétrécissement, mais « mouvante et dissonante ».
Pierre Assouline, aux termes de cette requête administrative, demande au roi Felipe VI d’abolir le décret d’expulsion des Juifs d’Espagne pris en 1492, cette décision « changeait tout (…) Si vous daignez et en convenez alors je me sentirai pleinement espagnol ».
C’est là une réflexion sur les notions d’identité, d’attachement, de racines, de sentiment d’appartenance très riches, foisonnantes, très fouillées que nous livre Pierre Assouline, dont la contribution à ce débat brûlant nous aidera grandement à éclairer les lecteurs potentiels.
Stéphane Bret
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