Poèmes du festin céleste, Jean-Yves Masson
Poèmes du festin céleste, L’Escampette, 2002
Ecrivain(s): Jean-Yves Masson
Nombres à propos des Poèmes du festin céleste, anthologie personnelle de Jean-Yves Masson
Aborder la riche livraison des poèmes de l’anthologie personnelle de Jean-Yves Masson nécessite de petits préliminaires. Au regard de la question des temps et de la composition – 1983/1995, donc du très jeune âge du poète qui débute jusqu’au devant de la personne adulte, dont la trace est visible au fur et à mesure de la lecture – et le saut jusqu’au livre, je voudrais dire deux ou trois choses. Paru en 2002, donc presque une dizaine d’années après ma propre intervention ici – dix années de plus, après la dédicace que l’auteur m’a fait en 2003 –, je ne peux que dire que cela intéresse plus le sujet de l’auteur que ne le laisse entendre cette anecdote des nombres.
En effet, l’étoffe poétique de Jean-Yves Masson a souvent traité la question du mètre en poésie. Il est d’ailleurs connu pour des onzains et des neuvains chez Cheyne éditeur. L’anthologie que j’ai dans ma bibliothèque est dédicacée ainsi pour Didier Ayres : cet « album de vers anciens » revus, mais légèrement par celui que je suis aujourd’hui […] janvier 2003.
Le détail de cette chronologie ne doit pas effacer l’importance de cette anthologie. Par exemple, puisque j’insiste un instant encore sur le thème des nombres, et par incidence sur celui de la métrique, je crois que l’auteur a un goût très net de la composition classique – tercets, quatrains, et même parfois quatre quatrains ou trois tercets.
Je cite :
LXVIII
SAINT-JEAN-DES-ROIS
Il nous sembla soudain que les oranges
qui brillaient là sur l’arbre dans le soir
dans le demi-sommeil de la lumière parlaient enfin
d’une contrée connue jadis et désirée.
Mais maintenant que la prière autour de nous
monte des murs, et que l’hiver suspend sans poids
son don de fleurs de givre à ces feuillages,
comment penser encore à ces soleils aux cœurs obscurs ?
Ah maintenant, comment se souvenir des fleurs dans l’ombre,
et des parfums, des mots légers qui les nommaient ?
Toi plus savante, encore un jour, lumière,
sèche nos larmes, toi fidèle qui te souviens.
Voilà trois strophes de quatre vers, qui laissent entendre le doux soin à la fois de la musicalité du poème, de son étendue intellectuelle, et des sentiments de l’auteur, trois choses réunies dans une langue claire et équilibrée, avec juste le suffisant de lyrisme et de petites arabesques stylistiques. Donc, le poète ici allie le destin « musical » de la langue poétique et son obligation factuelle « à dire quelque chose » sur l’idée. À ce sujet, je suis très passionné d’un très vieux débat philosophique sur la question des mots et de la chose. En ce sens, le poème contient tout le mystère de cette question, car quoique le mot puisse précéder la chose chez Platon, ou que la chose et le mot forment un tout-ensemble aristotélicien, le poète passe au-dessus et va avec sa chanson mettre dos à dos les deux théories.
On voit donc un peu de philosophie, et on a vu un peu de musique, mais il faut voir aussi le syncrétisme des arts, poésie, peinture et musique essentiellement, et peut-être encore un peu de récit ou d’architecture. Que cela s’intitule Le Traité de la peinture (I et II), ou encore Symphonie – au sujet d’une pièce D’E. Chausson – ou le poème qui porte le titre d’un artiste – comme Albéric Magnard – tout confine à cette occupation du lieu poétique par d’autres formes d’art.
Mais là ne s’arrête pas le mérite du poète, et Jean-Yves – qui est une personne qui compte pour moi, en partie parce qu’il m’a initié au monde éditorial, justement à l’époque de sa dédicace des Poèmes du festin céleste, et surtout parce que mon amitié pour lui a toujours été profonde – nous parle aussi du monde oriental. Et j’avais un grand professeur à la Sorbonne Nouvelle qui donnait des cours sur le lieu théâtral, M. Georges Bannu – puisque c’est de lui dont il est question – nous livrait ses méditations – qui sont restées pour moi des vraies notions – sur les deux manières de procéder dans la création, la façon occidentale et celle de l’Orient. La première consistant à avancer dans l’obscurité et former le projet au fur et à mesure et a posteriori, et la seconde, qui consiste à regarder l’objet à saisir, et puis à s’en dessaisir dans l’œuvre loin du temps de la contemplation. Et je retrouve cette question avec ce poème que je voudrais citer : XIV / POUR UN JARDIN DE FABLE / Dans la cour adorable aux orangers d’oranges amères, / m’attendent les buissons de roses et les peignes d’ivoire épais, / la poudre blanche qui apaise la souffrance des paupières. Tercet qui me fait tout de suite penser à l’acteur de Kabuki, et dont Jean-Yves s’approprie, il me semble, l’essence.
Évidemment les sources sont riches, sachant que le lecteur passe avec la centaine de poèmes sélectionnés par l’artiste, au milieu de deux décennies de travail, et que cette petite étude est, il va de soi, trop sommaire. Mais je voudrais, pour en finir avec ces lignes, ajouter un dernier élément qui me laisse penser que cet ouvrage, que j’avais fermé il y a longtemps et qui s’est réouvert à moi sans vraiment que je sache comment, n’est pas du tout épuisé par ma simple lecture. Car on y ressent aussi les influences de Wilde ou de la peinture Préraphaélite, lesquelles permettent au lecteur de voir ce que le poète voit lui aussi. Ainsi donc, cette poésie dit par elle-même le vrai et strict sens de tout poème, faire voir en faisant entendre.
Didier Ayres
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