Petits textes poétiques, Robert Walser
Petits textes poétiques, traduit de l’allemand par Nicole Taubes, 2005, 176 pages, 15 €
Ecrivain(s): Robert Walser Edition: Gallimard
Kleine Dichtungen, datant de 1914, est du très petit nombre des recueils que Robert Walser a composés lui-même. S’il tenait autant à cet ensemble comme ensemble, c’est sans doute parce que s’y lisent ses préoccupations. Les pensées les plus intimes contenues dans une seule pensée. Celle reliant la vie et la mort.
Et que tentent de reconstituer, par leur babil, les promenades qui tissent, entre le ciel et la terre, meuble, une tapisserie nous recevant en elle, putréfiable tapisserie d’air et de vent.
Robert Walser croit, comme un enfant – comme l’enfant fantasmatique qui est l’archétype de l’innocence –, à la bonté des êtres et des choses. Il croit comme croit l’enfant recroquevillé en chaque adulte qu’un cours est possible, venant du corps, qui permettrait à la main de se tendre, sans que ce soit pour frapper, ou prendre, ou brusquer, ou pousser. « Quand tu te promènes, tu crois te promener dans l’air, c’est comme si tu devenais une part du souffle bleu régnant au-dessus de tout. Ensuite, la pluie revient, et toute chose matérielle est alors si mouillée, si humide, avec partout un doux éclat luisant. Les gens d’ici sentent la douceur et l’amour qu’il y a dans la nature, qu’il y a partout dans le monde vivant. Ils se tiennent agréablement alentour, et dans leurs mouvements, on sent que ce sont des gens libres » (Au frère).
La bonté des êtres et des choses, c’est aussi la bonté de la nature. Qui est sa – la – beauté. Walser est un promeneur ailé, qui fait de son regard patient et apitoyé et subjugué le moyen d’étreindre la nature. En la considérant comme un corps face auquel on doit garder une distance, du fait de son caractère sacré – du fait de la pureté de chacun de ses arbres, par exemple. Un corps qui souffle la stupeur acquiesçante dans celui qui la regarde. La stupeur acquiesçante et qui prie. « La beauté est partout » (Villégiature).
Et quoi de plus beau, de plus radicalement beau que la neige ? « Je n’ai jamais composé de poèmes en été. L’éclosion des fleurs, leur épanouissement avaient à mon goût quelque chose de trop sensuel. En été, j’étais triste. En automne, une mélodie s’élevait sur le monde. J’étais amoureux du brouillard, de la lumière du soir qui tombait de si bonne heure, amoureux du froid. La neige, je la trouvais divine […] » (Les poèmes, I). « Hier, nous avons eu de la neige, et aujourd’hui, de grand matin, je suis sorti pour aller contempler tranquillement, soigneusement le paysage sous la neige. Mignonne comme un gentil chaton qui vient de faire sa toilette, l’opulente, l’aimable terre est là, offerte à nos yeux. Chaque enfant, j’imagine, peut comprendre par le cœur la beauté d’un paysage sous la neige, le beau blanc propre est si facile à comprendre, est si enfantin » (Le petit paysage sous la neige).
La neige, c’est le silence. Car le silence de la neige est, de tous les silences, le plus propre à être appelé silence. Puisque c’est un silence qui visuellement paraît. Qui s’est déposé tout autour de soi.
De tous les silences, c’est celui qui nous parle le plus.
À partir de 1929, « Walser passe la fin de sa vie à l’asile, dans le silence », comme le rapporte le psychiatre et psychanalyste Philippe Lacadée dans Robert Walser, le promeneur ironique,enseignements psychanalytiques de l’écriture d’un roman du réel (Éditions Cécile Defaut, collection Psyché, 2010). « Il s’annule sans sombrer dans une “folie incurable”, sans perdre la mémoire, mais cesse d’écrire pour rester encore plus libre. Il redouble l’enfermement de l’asile d’un enfermement intérieur pour préserver sa liberté de sujet, aspirant à “être insignifiant et à le rester”, à n’être rien qu’un “ravissant zéro tout rond” ».
Le jour de Noël 1956, Walser meurt lors d’une promenade dans la neige, cherchant à rejoindre, peut-être, une « verte forêt silencieuse et discrète, comme une pensée au creux d’une pensée » (L’invitation). Et ces lignes préfigurent cela : « [J]e me frayai tant bien que mal un chemin et continuai ma route. Déjà il faisait nuit dans la blanche forêt enchantée. Alors je redescendis à travers toute cette neige. À un moment, je m’effondrai et me retrouvai assis dans la neige comme si j’avais voulu m’attabler pour souper » (Neige).
Matthieu Gosztola
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