Petits oiseaux, Yôko Ogawa (2ème article)
Petits oiseaux, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, septembre 2014, 272 pages, 21,80 €
Ecrivain(s): Yoko Ogawa Edition: Actes Sud
« Tous les chants d’oiseaux sont des chants d’amour ».
Dans son dernier ouvrage paru aux éditions Actes Sud, Yôko Ogawa pose la question : qu’est-ce qu’être soi dans l’insécurité sociale et familiale si la parole n’existe pas en tant que lien de sociabilité ?
Comment vivre, se construire si les racines de l’affiliation sont rompues ? La transparence aux êtres y serait-elle liée, si l’autre n’existe pas ? Dans Petits oiseaux, l’écriture est un monde en forme de cage qui offre néanmoins une part à la liberté qui nous convient, faisant de chacun de nous des oiseaux, sifflant des chants d’amour que personne n’entend mais que l’on comprend parfois, au travers de nos propres illusions… Il faut alors fusionner l’espace du silence et du temps de l’écoute (ou de la lecture !) pour retrouver peu à peu les mots oubliés dans l’espace de la psyché ; enjeu même de la distance toute japonisante du vivre ensemble et d’une double identification aux fonctions multiples, interrogeant l’acte de penser l’écriture, en tant que création d’une vision à la Max Ernst, du type Loplop présente :
« Sous sa forme tordue, l’annexe solitaire finit par ne plus se faire remarquer. Ce qui s’était affalé contre la clôture glissa peu à peu, les planches s’entassèrent sur le sol, formant bloc sans que l’on puisse discerner le toit des murs et du sol. Le bloc pourrit, se décomposa, se couvrit de mousses, des graines venues de nulle part se mirent à germer, et ici ou là ils virent même pointer des fleurs. Exactement comme si c’était la tombe de leur père. Les oiseaux, sans savoir ce qu’il y avait là à l’origine, descendaient parfois des branches pour s’amuser à sautiller dessus ».
Yôko Ogawa nous décrit un monde qui s’en va, qui s’évanouit sans laisser de trace dans l’imagination des hommes, dans une « foi au livre, aux écritures » qui ne sera bientôt plus ; un monde sans technologie, sans robot, sans nostalgie même. Un monde qui n’aura bientôt plus besoin de la nature pour faire battre son cœur. Ecrivain de la transgression par petites touches, la romancière nous livre une réflexion poétique dans laquelle l’inadaptation au monde, au droit à la différence, ne pèsent en rien sur le bonheur. L’auteur nous conte par métaphores, des impressions, des tensions d’une grande subtilité.
Une contre-pensée où l’exclusion serait désormais la règle, si nous ne « comprenons » pas le langage des oiseaux (pawpaw) ; si nous parlons le langage désarticulé des humains, fiers de leur autorité, puisqu’ils sont si nombreux… Tristes hommes, pétris d’un sable mouvant qui fait de leur rapport aux autres le mouvement même de leur inconstance et de leur pauvreté ! Serré au creux des mains des morts, l’oiseau à lunettes, cette « pierre brute des mots » dans le roman, continue pourtant à vivre, chanter sa liberté sur la transparence des hommes, le monde de la beauté.
Petits oiseaux est un livre d’une douce volupté qui renforce le cœur des hommes, mélancolie fragile de l’amour, poésie délicate, îlot de sérénité à l’écart du bruit du monde, qui propose une façon de l’appréhender, de l’accepter sans le comprendre : « Les gens qui lisent des livres ne posent pas de questions superflues, ils sont paisibles… dit-elle sans lever les yeux. A rapporter dans quinze jours, se dit-il avec les mots de la jeune bibliothécaire… »
A vous aussi de lire ce livre tous les quinze jours et aussi longtemps que vous le pourrez, pour le garder au sein de votre bibliothèque personnelle, de votre pensée, pour en mesurer toute la philosophie, comme une plume délicate que l’on ramasserait sur une plage, au bord de la mer et que l’on glisserait délicatement sur le rebord de son chapeau pour se protéger des rayons ardents du soleil, ou du regard des autres ! « Les oiseaux ne lisent pas de livres… Parfois ils restent tranquilles à réfléchir.– Vraiment ?».
Hommes-frères-oiseaux en mutation, battant des ailes pour s’évader de leur condition humaine. Dans ce roman délicat, le cadet n’aura de cesse de vivre au croisement de deux mondes, de deux visions de l’âme. Symbole inversé de l’esprit de l’hirondelle, qui pour avoir manifesté de la compassion au moment où Jésus souffrait sur la croix, ôta de son œil les épines de sa couronne pour les emporter au loin ; une goutte de sang divin perla et tacha alors à jamais la gorge de l’hirondelle. L’homme aux petits oiseaux décida, lui, de leur rendre la liberté :
« Celle que vous cherchez n’est pas ici, malheureusement. Ainsi s’adressait-il aux oiseaux à lunettes derrière ses paupières. Puis il ouvrit les yeux, s’approcha des cages que l’homme à la casquette avait entassées sur le sol, en ouvrit les portes une à une… Allez, vous pouvez sortir. Après avoir décrit un tour au dessus de la tête du vieil homme, certains s’égayèrent entre les branches du chêne, tandis que d’autres se dirigeaient vers un endroit encore plus lointain du ciel ».
L’image récurrente des oiseaux est aussi une allusion à la relation divine entre l’homme et l’animal qui a son corollaire en Occident avec la figure de saint François d’Assise, lequel prêchait pour les animaux, une relation d’amitié, de compassion aux antipodes de la traditionnelle conception occidentale de l’homme maître et l’animal possession :
« Tu n’es pas obligé de chanter pour moi ni pour quelqu’un d’autre, tu sais, lui chuchota l’homme aux petits oiseaux après avoir approché son visage de la cage. Demain tu quitteras cet endroit. Tu te lanceras à travers ciel… Le soleil couchant remplissait le jardin. Voulant à nouveau entendre la voix de son aîné, la cage serrée sur son cœur il s’allongea… Garde-le… précieusement… ce chant si beau… »
Yôko Ogawa nous donne à lire un Jardin des délices, un texte classique, d’une grande maîtrise, simplicité, et beauté, entre Terre et Ciel, lumière et ténèbres. La promesse que le Déluge n’aura plus lieu à qui ouvre son cœur aux sentiments de piété et de douceur ; d’un langage pour celles et ceux qui sont soucieux du salut des âmes.
« Je ne laisserai pas se faner les pervenches
Sans aller écouter ce qu’on dit sous les branches,
Et sans guetter, parmi les rameaux infinis,
La conversation des feuilles et des nids ;
Il n’est qu’un dieu, l’amour ; avril est son prophète ;
Je me supposerai convive de la fête
Que le pinson chanteur donne au pluvier doré ;
Je fuirai de la ville et je m’envolerai,
Car l’âme du poète est une vagabonde…
… Ô belle, nous aurons les dieux, les chants, les lierres.
Le mois de mai fera son devoir ; Dieu clément
Le veut ; on entendra chuchoter vaguement
Des profondeurs d’oiseaux sous des épaisseurs d’arbres ;
On se parlera bas ; les seins seront des marbres,
Non les cœurs ; on aura quelque ami pour témoin,
Sans empêcher pourtant qu’il aille un peu plus loin ».
(Victor Hugo, in. Toute la lyre, XVIII Toute la vie d’un cœur, 6 et 26 mai 1847)
Pour finir, Petits oiseaux est un livre-chant, une chorale des cœurs d’une rare intelligence modifiant à jamais chez son lecteur sa compréhension de sa véritable nature d’être humain, pensant, ressentant…
Accepte cette vie de l’oubli ; lecteur…
Et envole-toi avec les oiseaux ; ressusciter le corps des défunts
Ils ont des choses à vous dire…
Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
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