Parage 05, Revue du Théâtre National de Strasbourg, Numéro spécial Falk Richter (par Marie du Crest)
Parage 05, Revue du Théâtre National de Strasbourg, Numéro spécial Falk Richter, 2019, direction éditoriale Frédéric Vossier, 180 pages, 15 €
Ecrivain(s): Falk Richter Edition: Les solitaires intempestifs
L’ami-théâtre
La revue du TNS consacre pour la première fois son numéro (05) à un auteur vivant, l’allemand Falk Richter, dont une photo, « en visage » ardent et souriant dans l’ombre et la lumière, ouvre le volume en première de couverture. Le choix de Falk Richter s’explique à la fois par son lien particulier avec le Théâtre National de Strasbourg auquel il est associé depuis 2015, mais surtout par l’importance de son travail sur les scènes européennes et la place singulière qu’il occupe dans le langage dramatique contemporain et bien sûr sa « fraternité théâtrale » avec Stanislas Nordey, actuel directeur du TNS.
Falk Richter a engagé son œuvre sur une rupture avec le théâtre conçu à partir de personnages, de dialogues et de situations. Sa conception privilégie le montage, « le sampling », le fragment, et surtout il met en œuvre un lien organique entre sa fonction d’auteur et celle de metteur en scène.
En quelque sorte, le texte prend forme au cours du laboratoire du jeu, sous forme d’improvisations avec les comédiens. Richter ainsi peut-il écrire le présent du monde : celui des migrants, des pesticides qui rendent les terres stériles, et aussi celui de l’Europe d’aujourd’hui. Il est en quête toujours du « son de notre époque ».
Le numéro s’ouvre sur plusieurs textes de l’auteur traduit en français par Anne Monfort, qui depuis 2000 travaille sur les textes de Richter. Ainsi propose-t-elle deux inédits : De grands champs bruns vides, et La Nuée / Paradise Lost. Suivent un extrait du journal intime, matériau essentiel à l’écriture de l’auteur, comme le souligne d’ailleurs dans un autre article de la revue, Stanislas Nordey, et une conférence d’ouverture d’une série de trois (2016) Into the void.
Deux auteures du théâtre contemporain français, habituées de Parages, proposent à leur manière des contributions nourries de Richter. Claudine Galea rédige Un sentiment de vie, My secret garden, qui fait entrer en résonnance l’histoire du père de Falk Richter et celle des parents de l’auteure en Algérie et le passage à l’écriture de ce double matériau. Sonia Chiambretto, quant à elle, répond à un texto de F. Vossier, de février 2018, lui proposant d’écrire sur Richter, à sa façon « sous un angle poétique » ou « corps à corps ». C’est cette dernière orientation qu’elle choisira autour du texte Je suis Fassbinder, représenté d’ailleurs en avril 2019 au TNS.
Le numéro consacré à Richter constitue ainsi une sorte d’échanges croisés entre comédiens qui ont « travaillé » Richter comme Laurent Sauvage en Avignon ou au TNS, ou Judith Henry qui sous forme de notes et de photographies dévoile son expérience de l’écriture de plateau auprès de Richter, dans le cadre de Je suis Fassbinder, créé en 2016 à Strasbourg dans la mise en scène de Richter et de Nordey. Il en va de même avec l’approche de l’œuvre depuis 2014 que fait Nils Haarmann, dramaturge à la Schaubühne qui a collaboré à diverses reprises avec Richter ; œuvre qui selon lui scrute désormais ce qu’est L’Europe (Ich bin Europa). De même, Maëlle Dequiedt témoigne de la manière dont elle a envisagé la mise en scène de Trust-karaoké en 2015, dans un entretien avec Bérénice Hamidi-Kim, et comment elle a élargi ce qui était à l’origine évocation de la crise financière de 2008, en mettant en avant les retombées sociales et politiques, d’autant que le monde avait assez considérablement changé dans la période : arrivée au pouvoir de Trump, attentats, mouvements sociaux…
Autre perspective, celle d’un autre metteur en scène, Cyril Teste qui, lui, a créé en 2015 la pièce Nobody, alors qu’il avait découvert Richter, par hasard, en le lisant durant un voyage en avion. Cyril Teste est particulièrement sensible à l’écriture cinématographique, à la modernité de la communication présente dans les pièces comme le téléphone portable, et les médias numériques en général, mais plus largement encore aux mécanismes sociaux, politiques qui jalonnent le théâtre de Richter.
Dernière résonnance du monde de Richter envoyée par Bruno Tackels en texte et en images depuis la Colombie.
Ce numéro alors retentit comme un partage multiple profond, sensible avec l’œuvre importante de Falk Richter.
Marie Du Crest
On peut retrouver sur la Cause Littéraire une recension de deux textes de F. Richter, Loud, et Ivresse, en avril 2013, ainsi que des chroniques sur la revue Parages. Les textes de Falk Richter traduits par A. Monfort sont publiés chez L’Arche Editeur (coll. Scène ouverte). Certains textes ne sont pas encore traduits en français (cf. Fischer Verlag).
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