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Ivresse/Play loud, Falk Richter

Ecrit par Marie du Crest 11.04.13 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, L'Arche éditeur, Théâtre

Ivresse/ Play loud, traduit de l’allemand par Anne Monfort, Collection Scène ouverte, 2013, 156 pages, 13,50 €

Ecrivain(s): Falk Richter Edition: L'Arche éditeur

Ivresse/Play loud, Falk Richter

 

 

Ivresse ou « partir par l’écriture dans un autre monde »

 

Falk Richter, avec ses deux dernières pièces, Ivresse et Play loud, qui constitue le nouveau volume de son œuvre chez l’Arche Editeur, s’interroge avec un humour désespéré sur notre intimité sapée par le politique, l’économique mondialisé. Falk Richter a d’ailleurs une profonde admiration pour Büchner, pour son théâtre justement politique, révolutionnaire et intime. Ainsi La force vampirique des réseaux, les vies « coachées » sont-elles des codes sociaux intégrés par les individus.

 

« L’extérieur est aussi là à l’intérieur » (p.14)

Le parcours du texte, de ses voix, sera justement comme une quête, un élan au sens des corps en mouvement vers un territoire entre toi et moi. Falk Richter se défait des personnages contraints dans des rôles prédéterminés. Il propose un simple repérage fondé sur des tirets (- /--) avant chaque réplique indiquant un changement de locuteur. Sa méthode au sens grec du terme, la route à suivre pour aller vers l’œuvre, passe par un processus démocratique, une longue discussion pour savoir quel comédien à ce moment-là peut jouer sa partition. Lors d’une mise en jeu scénique le 22 mars dernier, de jeunes comédiens de l’ENSATT utilisaient des pupitres en métal, d’habitude accessoires de musiciens, pour poser et lire leur texte. La pièce s’ouvre sur une voix utopique :

« J’aimerais tellement écrire

sans sujet

sans direction »

Pouvoir écrire contre le système, en dehors du système. L’ivresse sera la matière de la pièce circulant du monde de la finance (p.48) à l’ivresse des corps qui dansent. Le mot allemand Rausch résonne avec Rauschen. Il charrie avec lui la griserie de l’alcool, le bruissement, la transe dionysiaque du théâtre. Les voix portées parfois par des micros, lors de la création de la pièce à Düsseldorf, dans certains monologues, sont des maelströms poétiques qui parlent dans l’urgence d’une simultanéité avec le monde : Falk convoque Berlusconi, Kadhafi, la Grèce déchue dans la crise, les partis allemands comme la CDU ou Le FDP, le pape et l’église catholique. Tout dire de maintenant.

L’amour lui aussi, l’intimité entre deux êtres, cherche à échapper à cette emprise du monde néolibéral conquérant. La thérapie de couple, un des fragments du texte, sur le mode comique et grinçant, donne la parole en termes de pouvoir au psy, intermédiaire fâcheux entre l’homme et la femme (p.29). Il fait des discours, presque de la logorrhée, et le couple se soumet et s’exprime peu (le psy coupe la parole à l’homme, p.31). Laconisme d’impuissance : non merci, non, quoi, oui et le à chier répété par les deux partenaires. Facebook qui tient lieu de nouvelle île de Cythère n’est qu’une imposture, celle dulike à tout prix. Ce long fragment-monologue est sans doute le point de basculement de l’intime vers sa négation. Le monde n’est qu’un artefact, celui du profil FB.

 

N’enlève pas tout ce qu’il y a de bien chez toi dans notre vie pour le mettre sur Facebook (p.45)

 

Il faut donc chercher un ailleurs, ce sera la vie dans le campement, à la manière des indignés du mouvement Occupy, né à Manhattan juste à côté de Wall Street. La voix est alors celle d’un fils s’adressant à sa chère maman du monde d’avant. Là, sous la tente, sous la menace des gaz lacrymogènes, il réinvente une résistance à l’ordre globalisé du monde où tout est argent, valeurs boursières, transactions informatisées. Le je du début est devenu NOUS (p.54). Les corps s’émancipent ainsi que le désir : « un garçon s’est couché dans mon sac de couchage. il tremblait. et pleurait. je l’ai pris dans mes bras et pressé tout contre moi. puis une fille du groupe agamben est venue. […] et alors ils m’ont tous les deux touché tout le corps, partout… »

Le dernier seuil de la pièce (Et ici s’achève la langue) sonne comme une délivrance ultime, l’atteinte d’un son pur, de mots purs comme plus-pluie-mer-bruissement de mer-calme plat-temps-instant. Les uns au-dessus des autres (p.62), ils retrouvent leur vitalité sonore première, la pure et première ivresse, de deux êtres, toi et moi, qui dans la nuit sont enfin seuls avec eux-mêmes dans l’infini du monde.

 

Marie Du Crest


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A propos de l'écrivain

Falk Richter

 

Falk Richter est l’un des grands noms de la scène contemporaine allemande. Il naît en 1969 à Hambourg où il découvre le monde du théâtre. Il devient metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il monte des auteurs comme Crimp, Kane ou encore Churchill avant d’écrire des textes qu’il peut mettre aussi en scène. Il travaille avec des comédiens, des musiciens et des danseurs. Il est metteur en scène associé à la Schaubühne depuis 2006, et depuis 2011 au Schauspielhaus de Düsseldorf. Ses pièces comme Sous la glace, Trust, Protect me ou My secret garden, sont jouées en Europe. En France il est découvert par le public français au festival d’Avignon auquel il prendra part encore cet été. Il crée Ivresse en 2012 aux côtés d’Anouk van Dijk, signant aussi la chorégraphie du spectacle. Les textes de Falk Richter sont édités en français chez l’Arche Editeur et traduits par Anne Monfort.

Cet été, le théâtre de Falk Richter sera à nouveau au festival d’Avignon.

 

Hôtel Palestine

Electronic City

Sous la Glace

Le Système pièces traduites de l’allemand par Anne Monfort en un volume. 2008 L’ARCHE Editeur

Trust/ Nothing hurts 2010 L’Arche Editeur

My secret garden 2012 L’Arche Editeur

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.