Par la main dans les Enfers, Joyeux animaux de la misère II, Pierre Guyotat
Par la main dans les Enfers, Joyeux animaux de la misère II, Hors série Littérature, octobre 2016, 432 pages, 24 €
Ecrivain(s): Pierre Guyotat Edition: Gallimard
Le cycle Joyeux animaux de la misère est présenté par son auteur comme « des jactances ». Et Guyotat de préciser : « La jactance est la manifestation de celle ou celui qui veut prendre la place de l’autre ». Ce procédé permet à l’auteur une forme de détente puisqu’il n’est plus lui-même mais un autre. Néanmoins la tension revient vite étant donné la radicalité du propos. Et il faut à l’auteur, par instants, retrouver « sa » propre langue. D’où l’effet labyrinthique d’une telle fiction.
Tout est écrit dans le besoin d’écrire des sortes de répliques rapides créatrices d’une rythmique où les mots même courants se trouvent « ré-annexés » selon un propos sans doute insupportable pour un lectorat classique. Guyotat ose en effet l’excès non seulement de la langue mais de ce qu’elle crée. Et l’auteur de se « justifier » (si besoin était) : « Une grande œuvre, c’est effectivement une œuvre où il y a plutôt plus de choses que moins de choses. Il faut qu’il y ait de la musique dans la musique ».
Celui qui a toujours renâclé à écrire assis à une table, comme un professionnel, et qui préfère écrire dehors, dans une voiture, une grange, sous la tente, a besoin d’un espace étrange où ses pressions pulmonaires et cardiaques peuvent fonctionner afin de donner mots à ce qui jaillit dans son imaginaire visuel. Il a choisi aussi comme outil une tablette. Elle est pour lui comme une petite pierre plate qui ramène aux origines de l’écriture.
Restant seul avec ses « figures », Guyotat visionne des scènes qui se créent avec l’écriture : rythme et image sont donc liés : « Dès que je me mets à mâchonner un mot, je mâchonne une image ; le mot est la naissance de l’image ». Et l’auteur une fois de plus d’exécuter les mensonges d’agrément de l’autofiction. A l’inverse l’auteur invente une confession-fiction des « turpitudes » dont le naturalisme vaque entre le vécu et la fiction (l’un n’étant pas plus « vrai » que l’autre). Il ne faut donc pas accréditer l’idée que la narration relaie la vie intime mais la pousse plus loin.
Jean-Paul Gavard-Perret
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