Mes deux papas, Éric Mukendi (par Théo Ananissoh)
Mes deux papas, Éric Mukendi, Gallimard, Coll. Continents Noirs, mars 2023, 181 pages, 18,50 €
Edition: Gallimard
Le regard de l’enfance sur la vie et sur les adultes aux prises avec les réalités de la vie. La Vie devant soi de Romain Gary s’est imposée comme le modèle d’un genre romanesque. Le premier roman d’Éric Mukendi fait penser à ce grand exemple sans manquer de qualités propres qui en font une œuvre réussie et agréable. Le jeune Boris qui raconte est aussi appelé par son entourage Bobo – un peu comme l’inoubliable Momo de Gary/Ajar. Mais les temps ont changé. Nous sommes à l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux. Et le 9.3 où habite Boris est quasiment un ailleurs lointain et même étrange par rapport à Paris où chacune de ses excursions est une prise de risques. Aller de l’un à l’autre, c’est passer une frontière, en particulier linguistique. Boris est collégien ; une innocence finissante. Cela donne à ce qu’il raconte le cachet sociologique d’une phase charnière – entre l’enfance et la jeunesse adulte. Il a une première histoire d’amour, comprend vite et se défend bien contre un prédateur sexuel à l’aide d’un cran d’arrêt…
« Déjà, je préviens, j’ai le droit de dire ce que je veux sur la planète, parce que j’ai assez vu et vécu de trucs compliqués dessus, donc la planète, elle peut pas m’en vouloir si je l’insulte, elle sait que je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce… ».
Boris est venu du Congo démocratique après le décès en couches de sa mère et de son jeune frère. Tonton Fulgence, installé en France et son épouse Béatrice, française, sont ses parents officiels. Béatrice ne le sait pas, mais Fulgence en réalité est le jeune frère du père de Boris. Il faut dire qu’étant donné son jeune âge et la demi-douzaine d’années écoulées sans le revoir, Boris a presque perdu le souvenir de son vrai père. Et celui-ci, faute de pouvoir faire en ligne directe et légale le trajet d’émigration vers la France, a dû passer de nombreuses années disons en cours de route avant d’y arriver, passant d’un pays africain à un autre, de l’Afrique centrale à l’Afrique de l’Ouest, puis de là à l’Afrique du Nord. Il finira par franchir la Méditerranée, et sonner un soir inopinément chez son frère et son fils à Bondy. Ces « retrouvailles » et leurs impacts structurent le récit. Le jeune Boris se retrouve ainsi au croisement de plusieurs exigences et tente vainement de préserver des loyautés contradictoires – filiale, amicale, amoureuse, sociale… Il perd dans ce tiraillement ses illusions certes mais tient le coup grâce à un sens de la tendresse et de l’ironie ; ce qui nous donne à lire un récit tout en verve malgré une situation familiale inextricable.
« Pour aller à Bobigny, j’ai marché du collège jusqu’au pont de Bondy. Et le pont de Bondy, c’est tout un poème, on va pas se mentir. On voit toutes les formes de la misère et de la peine là-bas. Je pense que Victor Hugo, il pourrait écrire des pages et des pages sur le pont de Bondy ».
Théo Ananissoh
Éric Mukendi, né en République démocratique du Congo, a grandi en Normandie où il est arrivé à l’âge de sept ans. Il est professeur de français à Rouen. Mes deux papas est son premier roman.
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