Love Hotel, Christine Montalbetti
Love Hotel, 2013, 171 pages, 15 €
Ecrivain(s): Christine Montalbetti Edition: P.O.L
Comment retranscrire le réel ?
Que peut le roman face à la richesse si débordante de souffle qui fait chaque parcelle de nos vies ?
Comment dire non pas le visible mais notre rapport à lui, sans jamais éluder ce qui en constitue la trame la plus secrète ?
Comment, par l’écriture, retranscrire la saveur même des choses, qui, la plupart du temps, ne se conjugue que sur le mode de l’éphémère le plus abouti, toute saveur ayant pour vocation de se transformer au fur et à mesure de son envol, de se muer en autre chose, et, enfin, en la perte d’elle-même…
Enfin, comment faire du muscle de l’écriture cela même qui serait disposé à soulever, voile à la maille dense posé sur le monde, notre indifférence aux choses, pour qu’enfin nous puissions goûter, mastiquer, les pousses de réel par quoi la vie se fait jour au-dedans de nous et nous jette dans le ballet du visible, au centre d’idiosyncrasies qui, toutes, ont leur prénom à nous apprendre. À nous souffler. Et, pour quelques-unes, à souffler dans le cœur de nos vies…
Toutes ces questions, Christine Montalbetti les met implicitement en acte, y répondant sous la forme du roman – très abouti – qu’est Love Hotel.
Sans jamais nous perdre de vue ; nous, lecteurs. Car, à chaque instant ou presque, nous sommes pris à partie. À aucun moment, en somme, il ne nous est possible de nous échapper de ce qui (nous) est dit.
C’est un conte que nous retranscrit l’auteure, nous le chuchotant à l’oreille, un conte qui nous dit que s’aimer, c’est être en proie (oui, en proie) au réel dans sa saveur la plus sauvage et la plus diamantée, dans son élan le plus enfantin et le plus cruel ; aimer, c’est apprendre une langue qui porte non sur les choses mais sur l’élan contenu en elles ; non sur les êtres mais sur le goût qu’ils recèlent. Goût de la peau, du sexe, de la sueur ou des larmes. Mais aussi : regards, indifférences, sourires, attitudes, moues, silences, placidité sculpturale – uniquement percée par l’aiguille de la respiration – que souffle le corps au travers du sommeil, éclats, repentirs, attentes… : goût de l’âme. Et qui est le goût qu’a le rêve quand il tombe sur la terre, s’improvisant vie.
Un extrait :
« J’approche mon visage du sexe de Natsumi, je le respire, et je le reconnais. Ce qu’on y trouve, je dirais poivre, noisette, et aussi poudre de riz, le parfum mat et léger des fleurs de tournesol. Ce sont là des effluves en même temps délicats et corsés pourtant, mais de telle sorte que l’intensité des piments, au lieu d’emporter tout, n’occulte pas les senteurs plus discrètes, leur laisse une place, joue avec elles un tendre jeu de cache-cache, si bien qu’on décèle, derrière la muscade, cette fragrance de vanille infusée, ou cette douceur d’entremets lacté qui ne gomment pas les épices lointaines qui se déploient en arrière-plan. Et voici que s’épanouissent les notes boisées : ce sont chênes discrets, lichens et mousses après la pluie. Et ceci, une touche de fleurs blanches, un peu d’acacia, et puis des arômes miellés, qui s’y joignent en un bouquet complexe, où se mêle aussi comme une pointe d’agrume, de baies encore vertes et de zan ».
Matthieu Gosztola
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