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Lorraine brûle, Jeanne Rivière (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian 05.02.25 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Gallimard

Lorraine brûle, Jeanne Rivière, Gallimard, Coll. Sygne, janvier 2025, 182 pages, 19 €

Edition: Gallimard

Lorraine brûle, Jeanne Rivière (par Guy Donikian)

 

Comment être au monde autrement, comment éviter le piège du conformisme rassurant mais ennuyeux ? Ce sont ces questions auxquelles tente de répondre l’auteure dans ce roman qui met en scène une narratrice qui semble toujours au bord du gouffre, sans cesse en quête d’un sens qui tarde à se faire jour, une quête perpétuelle pour échapper au pire, le piège du quotidien, du couple, de la famille…

Nous sommes, comme le titre le suggère, en Lorraine. La narratrice y vit, et la décrit d’une façon qui laisse peu de place au doute : « Metz ici Metz. On aime le crade. On érige le trash en esthétique. La turpitude est notre maison mère. On se pose des lapins, on se ment, on prend de la drogue en cachette. On fait des fanzines avec des emballages de boîtes de méthadone, on met en scène des cures de désintox. On a la gueule de bois rien qu’en passant devant un bar. On flirte un peu trop avec la mort ».

Le registre est bien celui d’une vie « underground », parallèle, ce qui ne surprend pas quand on sait que la narratrice est une musicienne de la scène punk, l’écriture est ici le pendant de cette musique qui veut aller à l’essentiel à moindre frais, ce qui aboutit à une urgence qui ne veut pas s’embarrasser de scories inutiles pour transmettre les émotions avec cette même écriture qui a cependant l’élégance de la pudeur. Il y a certes des lignes qui disent précisément des états d’âme, des émotions, mais toujours en évitant le pathos…

Elle a un fils, prénommé Tarzan, qu’elle a eu avec Pablo, avec qui elle n’est plus, mais leur vie de couple a duré dix-sept ans. « Formidable cataclysme que cet enfant sur terre même si personne m’avait prévenue de l’arnaque qu’est la maternité pour la vie intellectuelle, sociale, créative et sexuelle ». Elle vit seule désormais, quelques rencontres ici et là suffisent…, d’autant que les concerts organisés dans des lieux aussi improbables qu’interlopes lui procurent des rencontres : « On a tissé comme ça un réseau alternatif de vies minuscules ». Les gens qu’elle côtoie sont des anarchistes, des queers venus écouter la musique, elle à la batterie qui joue dans plusieurs groupes aux noms évocateurs, Tranchée, Salo ou Catacombes, pour sillonner les clubs lorrains mais pas seulement.

Son amie Nora est comme elle, désireuse d’autre chose, de sensations fortes dirait-on encore, et c’est pourquoi elle s’est rendue dans une soirée pour le moins particulière : « La soirée s’ouvre avec une performance de fessées. La domina est une pro un peu massive et la soumise une jolie créature blonde (…) Une femme est assise à califourchon sur un tabouret en métal auquel on a ligoté ses jambes. Elle porte un masque à gaz et deux hommes plantent des aiguilles dans son cou, ses bras, ses seins. Une, deux, trente ». Et l’auteure de déclarer que « Nora et sa bande sont pas plus fous que ceux qui poussent leurs caddies à Auchan. Plus émancipés peut-être ».

Ce texte résonne comme une ode à la vie, dans le contexte désolant d’une région sinistrée, tout ce qui permet de résister est bon à prendre, c’est la musique punk et ce n’est pas un hasard, ce sont les soirées particulières… autant de moyens pour ne pas sombrer, rester en vie, même si la drogue fait partie de ces moyens…

La résistance pour la narratrice c’est aussi l’eau, la nage dont elle ponctue chaque fin de chapitre, sans doute comme une limpidité salvatrice, un moment d’oubli : « Piscine d’Uckange, les longueurs se succèdent dans une douce hypnose ».

 

Guy Donikian

 

Jeanne Rivière vit à Metz et joue dans des groupes punk. Lorraine brûle est son premier roman.



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