Lionel Asbo, l'état de l'Angleterre, Martin Amis
Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre (Lionel Asbo, State of England), traduit de l’anglais par Bernard Turle, mai 2013, 380 p. 21 €
Ecrivain(s): Martin Amis Edition: Gallimard
Lionel Asbo est un idiot et se fait un point d’honneur à se comporter comme tel. Lionel Asbo ressemble à Wayne Rooney, le footballeur de Manchester United. Lionel Asbo est un délinquant de carrière, « un criminel à la petite semaine qui passait la moitié de son temps à l’ombre » (et qui a « quasiment le niveau thèse de doctorat en droit criminel »). Il est méchant, il est radin. C’est une brute. Lionel Asbo a deux pitbulls qu’il gave de Tabasco pour les rendre plus agressifs. Lionel Asbo aime la pornographie. C’est beaucoup plus simple que les filles. Comme si on pouvait compter sur elles. Lionel Asbo est capable d’imbiber des quantités surabondantes d’alcool sans jamais être saoul et les substances illicites ne semblent pas non plus avoir d’effet sur lui. Ce qui peut être un avantage certain.
Lionel Asbo s’appelle en fait « Pepperdine », mais l’a changé parce que « Pepperdine, c’est con comme nom… ». Asbo lui convient d’autant mieux que cela veut dire : Anti-Social Behaviour orders, qui désigne des ordonnances censées combattre les comportements anti-sociaux. Lutte contre la délinquance des mineurs du gouvernement Tony Blair…
Lionel Asbo a un neveu, Kes. Il l’aime bien, malgré le fait qu’il soit métis. C’est que les gens de couleur, Lionel Asbo n’aime pas trop ça. Mais comme il fait partie de la famille (en tout cas, c’est le fils de sa sœur, car son père est un inconnu), ça peut aller. Mais heureusement qu’il ne sait pas que son neveu a une liaison avec sa grand-mère (la mère de Lionel). Elle a plus de quarante ans, elle n’a plus le droit au plaisir et Lionel se fait un devoir de pourchasser (voire pire) tous ceux qui l’approchent de trop près.
Un jour, Lionel Asbo gagne au loto. Il touche le jackpot. 140 millions de livres. Du jour au lendemain, il devient une star des médias. Tous ses faits et gestes sont épiés, commentés, disséqués. Chaque jour, des articles sont consacrés à celui à laquelle la presse attribue des surnoms des plus aimables : « L’idiot du Loto, le Taré du Tirage, le Bozo du Bingo, le Gaga de la Tombola ».
Ultra riche, Lionel n’a aucune envie de changer. Il est très fier d’être l’abruti de service dans les palaces et les restaurants prestigieux. Pour notre plus grand bonheur.
Ce n’est pas la première fois que Martin Amis entreprend de dresser un « état de l’Angleterre ». Ou plutôt un sale état. Il l’avait déjà fait dans son recueil Eau lourde et autres nouvelles.
Et dans quel état est son pays dans les années 2006-2013 ? Pas fameux. Non, pas bien fameux. Il est vilain et vulgaire et semble se complaire dans cette vulgarité crasse comme si c’était une qualité. L’Angleterre de Martin Amis, ce sont ainsi des filles qui tombent enceintes à douze ans, qui multiplient les enfants, qui deviennent grand-mères à vingt-cinq. Des enfants qui deviennent des hooligans dès l’âge de trois ans… et qui vont adorer suivre la vie d’un idiot qui a gagné le gros lot au loto. On a les idoles qu’on mérite.
Martin Amis est dans la satire. Et il régale. Des gants ? Pas la peine d’en prendre. Le politiquement correct ? Surtout pas. De la subtilité ? Pas nécessairement. Le gros rouge qui tache sait faire aussi son effet. Mais heureusement, ce n’est pas que ça. Il frappe direct, avec un sens aigu du détail qui fait mal, qui fait mouche, qui fait rire. Toujours affleure ce second degré (voire le troisième et quatrième), cette perversité aussi, qui a aussi des côtés très rafraîchissants.
Yann Suty
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