Life in suspension/La vie suspendue, Hélène Cardona
Life in suspension/La vie suspendue. Salmon Poetry. Recueil bilingue, 108 p. juin 2016. 12 €
Ecrivain(s): Hélène Cardona
La vie suspendue aux lèvres de l’invisible
Sarasvatī, la déesse de la connaissance, des arts et de la parole, semble avoir doté Hélène Cardona de bien des grâces : actrice, elle a notamment joué dans des films de Lasse Hallström ou Lawrence Kasdan et, dernièrement, dans "Haunting Charles Manson" de Mick Davis ; pianiste, elle a obtenu un prix du Conservatoire de Musique de Genève ; danseuse de haut niveau, elle a longtemps pratiqué l’art classique du ballet ; scénariste et traductrice notamment de Rimbaud, Baudelaire, Walt Whitman, René Depestre et de son père José Manuel Cardona ; diplômée de l’Académie des Arts dramatiques de New-York, auteure d’une thèse sur Henry James, elle est aussi et peut-être avant tout poète.
La poésie d’Hélène Cardona souffle à rebours de l’air du temps. Elle se situe à contre-courant de la production littéraire que le psychiatre Carl Gustav Jung qualifiait de « poésie névrotique », centrée sur les états d’âme de leur auteur, les replis les plus crasses de l’âme humaine, l’apparente absurdité de l’existence qu’elle ne fait mine de rejeter que pour mieux l’embrasser. Plus que jamais, la poésie a besoin de serviteurs inspirés et inspirants, dont le regard porte au-delà du visible, sachant que « la lucidité, prévient Gustave Thibon, est le pire des aveuglements si l'on ne voit rien au-delà de ce qu'on voit : le visible amputé de l’invisible n’est que le masque du néant. »
Le dernier recueil bilingue d’Hélène Cardona, Life in supension / La vie suspendue, récemment paru aux éditions Salmon Poetry, s’inscrit précisément dans cet élan visionnaire où la poésie voit et donne à voir au-delà des apparences trompeuses, dans une tentative de communiquer ce qui se situe au-delà du langage, car, ainsi que le murmure le poème « Basse altitude » :
« Certaines choses sont trop sacrées
pour être dites »
La vie suspendue est un chant d’amour, un hymne à la bonté et à la beauté ; non pas cette beauté fugace et superficielle des apparences, mais l’exacte beauté qui permet de connaître la Différence dont elle est le signe — jaillie tel un reliquaire des mains de l’orfèvre sous la forme d’un joyau longuement martelé, de même que les épreuves de l’existence et le temps façonnent et grandissent ceux qui savent, comme l’auteure, transformer le plomb en or, « les tempêtes intérieures » en détachement spirituel envers tout ce qui est relatif et limité, en gardant « l’esprit résolument tourné vers l’infini », « même si tout semble perdu » :
« J’ai saisi l’épée, l’ai couchée sur le lit
et j’ai dit je m’en vais.
A cheval, sous la pluie, je bénis le passé. »
Au fil des pages, les mots d’Hélène Cardona offrent un vibrant hommage à la création, à la nature (« …le long des falaises étourdissantes, le vent celte m’ensorcelle »), aux éléments (« Je sens le vent à travers mes cheveux / m’aimer comme jamais ») et, en substrat, d’un bout à l’autre du recueil, un poignant hommage à la mère disparue, l’ombre aimante de l’enfance, omniprésente dans ce recueil :
« Pour la première fois depuis son abrupt départ
des monastères sculptés en haut des rochers défient soleils
et cieux en droite ligne jusqu’à Dieu
trident ancré dans l’Egée.
(…)
Nous ne faisions qu’une.»
Ou encore :
« Nous sommes, ma mère et moi, deux cygnes entrelacés
(…)
La mise en scène est d’ordre divin. »
Au fond, La vie suspendue est, essentiellement, l’expression d’une vie d’artiste suspendue aux lèvres de l’invisible, au souffle divin et à l’unité la plus profonde de l’Homme, du cosmos et de la Cause incréée qui dépasse et résout l’apparente dualité inhérente à toute existence humaine.
Finalement, ce nouveau recueil d’Hélène Cardona n’est rien de moins qu’authentique poésie, « car la poésie, observe Fray Louis de Léon, n’est rien d’autre qu’une communication du souffle céleste et divin. »
Gabriel Arnou-Laujeac
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