Libre livre, Jean Pérol
Libre livre, 2012, 157 pages, 18 €
Ecrivain(s): Jean Pérol Edition: Gallimard
Le titre dit : Liber ! Livre ! Liberté !
Tout livre délivre, on le sait, et l’étymologie est là, si besoin est, pour le confirmer.
Ce livre est, entre tant d’autres, œuvre de liberté.
Ecrire que toute poésie est liberté, que tout poète est homme libre, relève du sens commun.
Mais Jean Pérol s’affranchit de tout.
Il transgresse les règles prosodiques traditionnelles. Oui, c’est vrai, bien d’autres, depuis longtemps, l’ont fait. Lui n’est pas de parti pris : régulièrement il y revient, quand ça lui chante, et ses vers sont alors dignes des grands classiques, et ils nous chantent, tout autant que ceux qu’il ne vêt pas du costume académique.
« plus rien dans l’ombre un peu qui tente
rien dans les yeux qui ne te mente
la Seine joue de ses traîtrises
où la mort frappe par surprise »
Jean Pérol se joue de la typographie linéaire. D’accord, Apollinaire a ouvert, il y a un siècle, ce champ-là ! Mais Pérol ajoute, au milieu de ses lignes, de l’espace, du blanc, de la respiration. Et ces brefs silences font sens, et ces vides sont denses.
« tout la soupire cette fin
lents soleils blancs neiges qui tombent
et grises et rousses sur les monts
les feuilles mortes les colombes »
Jean Pérol contrevient avec, on le sent, une profonde jouissance, à l’unicité conventionnelle du registre de langue. Evidemment, les surréalistes, et, en son genre, notre Brassens, ont brisé ces barrières avec bonheur.
« à chacun son morceau
son bout de vie et salut
à chacun son cadeau
puis de l’avoir dans le cul »
Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce que le titre de chaque poème se trouve, subversivement, au-dessous du texte, constitué par les deux ou trois derniers mots de la dernière ligne. Mais, quand même… renversant !
Ainsi Jean Pérol passe les bornes, celles de la composition, celles du langage, et celles de la vie, aussi !
On l’aura immédiatement remarqué dans les strophes citées : la mort est partout. C’est que Jean Pérol est déjà au-delà d’ici, au-delà de ça !
Des chaînes de l’être il s’est déjà désentravé.
Finalement, ce qui enchante (au sens ancien du terme), dans son écriture, c’est son désenchantement, permanent, à propos de tout, y compris de ce qui a été sa raison de vivre, la poésie :
« je pense pourtant de plus en plus avec un autre
que toute l’écriture est de la cochonnerie »
Quelle belle désespérance !
Des textes plus formellement prosaïques mais non moins essentiellement poétiques forment le dernier tiers du livre, et cristallisent, dans un discours fluide, les obsessions du poète.
« Plus d’un l’affirme : j’ai un petit quelque-chose à dire, j’ai. Les dieux s’occupent de moi, ils m’ont repéré. Bien sûr, orgueil venu des cellules obscures. Mais tout de même, pourquoi tant d’assurance et de mauvaise foi ? Et puis un jour devant soi, une bonne fois, on perçoit tous ses mots en poussière, et l’on n’a plus le même air ».
Qui osera dire que la poésie est moribonde, et qu’elle ne se lit plus ?
Patryck Froissart, Flic en Flac, 9 mars 2013
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