Lettres à Philippe Sollers (1981-2008), Dominique Rolin (par Philippe Chauché)
Lettres à Philippe Sollers (1981-2008), décembre 2020, 425 pages, 24 € (*)
Ecrivain(s): Dominique Rolin Edition: Gallimard« Le lys d’or est, à la lettre, un livre “foudroyant”. Mille courants électriques s’allument sur ma peau, dans ma tête et mon cœur à mesure que j’avance dans cet éblouissant récit » (Mardi 16 juillet 1991, 17h30).
« … tu m’a appris la patiente de l’écriture, ses refus troublants, ses élans de voltigeuse entre deux trapèzes… T’aimer est mon instrument, ma passion, ma joie. Dors bien, Hombre, tu es un vrai dieu » (Mercredi 10 juillet 2002, 20 heures).
« Le temps file entre les doigts, et je m’accroche à toi pour tenir le coup dans mon travail. Ce que je te dois, minute par minute, est incalculable. C’est le Temps » (Philippe Sollers) (1).
Ce sont désormais quatre volumes de correspondances entre les deux écrivains amoureux, entre deux passions fixes (2), qui s’offrent à nous. La passion littéraire française s’accorde merveilleusement bien à la correspondance, comme elle s’accorde au Journal Amoureux de Dominique Rolin (3) – Cet échange permanent de lettres, souvent quotidiennes, entre Dominique Rolin et Philippe Sollers, aura duré cinquante ans, de 1958 à 2008, l’année où Dominique Rolin s’absente peu à peu dans la maladie – …je ne suis plus qu’un maigre rameau désordonné.
Cinquante ans pour ne cesser d’affirmer la puissance de l’amour qui les illumine, dans le secret de la clandestinité, et la puissance de l’art romanesque qui les relie. On assiste dans ces lettres enchantées à la naissance des romans que Dominique Rolin est en train d’écrire – Le Jardin d’agrément ; La Rénovation – J’ai fait ma page, écrit-elle – et aux attentions qu’elle porte à ceux de son Splendamour : « Femmes » – Chaque phrase, et même chaque mot, exige une plongée verticale, corps et pensée confondus. Cette bien aussi de cela qu’il s’agit dans ce fécond dernier volume de la correspondance entre Dominique Rolin et Philippe Sollers, une plongée verticale dans un amour fou, une passion des lettres, des mots, et des corps. Dans les lettres de Dominique Rolin, comme dans celles de Philippe Sollers, le verbe se fait chair, amour, et l’amour s’écrit, comme il se vit.
« Je suis entièrement réfugié dans ma main en train de me conduire vers toi. Je suis dans ma jolie chambre pour t’écrire, j’entends voler les mouches, il fait très chaud, l’air est lourd, je me prépare déjà pour le petit voyage de retour, déjà je touche les choses autrement, tous mes gestes sont télécommandés par toi, j’ai hâte de me laisser tomber contre toi pour y sombrer dans le vrai sommeil » (Dimanche 26 juillet 1998, 14h30).
Cinquante ans d’échanges de lettres, cinquante ans d’amour partagé, cinquante ans de romans, pour Dominique Rolin et Philippe Sollers, qui savent se lire, se voir, s’écrire, s’entendre, s’aimer. Ils prouvent, s’il le fallait, que savoir s’aimer, c’est savoir écrire, et donc savoir s’écrire. Ces quatre volumes de correspondances sont un jardin amoureux, un journal unique, un Journal amoureux (3). Il saisit ce que les amants vivent et écrivent, et ce qu’ils écrivent côte à côte à Venise – ce mur de transparence légère et vibrante –, mais aussi ce qui traverse leur regard, le Temps qui les occupe – Ces lettres sont le sang vital nourrissant et irriguant le corps et l’esprit. Sans elles, le cœur s’arrête aussitôt de battre (4). Foisonnement de lettres, et de romans, ils s’écrivent sous nos yeux, sous la plume heureuse de Dominique Rolin, lectrice divine de Philippe Sollers qui illumine de sa présence les livres qu’elle est train de composer à Paris ou à Venise, lui ce sera également Venise, parfois Paris, et principalement Le Martray, port d’attache absolu, une île, face au large et aux murmures des mouettes. Les deux écrivains sont à leur façon deux oiseaux du large, amoureux du silence – Il semblerait que nous soyons les seuls humains à sentir le génie de se taire à deux –, qui ont traversé des tempêtes, mais ce sont les éclaircies solaires qui les embrasent, deux témoins heureux à la mémoire infaillible, et aux plumes d’encre bleue marine.
« Journée magnifique, une sorte de résurrection hors de moi-même, bon travail hier, bon travail aujourd’hui, relus ce soir pour être tout à faire sûre que je n’avais pas rêvé » (Jeudi 25 avril 1996, 20h20).
Philippe Chauché
(*) Edition établie et présentée par Jean-Luc Outers, Annotée par Frans de Haes
(1) Lettres à Dominique Rolin (1981-2008), Gallimard, 2019
(2) « On sort, on est à Rome, on traverse la Piazza Navona, la fontaine chante et bondit dans la nuit, tout évoque une énorme joie disparue, elle a eu lieu, pourtant, voici ses signaux, ses restes » (Passion fixe, Philippe Sollers, Gallimard, 2000.
(3) Journal amoureux, Dominique Rolin, Gallimard
(4) Avant-Propos, « Je me chauffe à l’énergie Sollers », Jean-Luc Outers
Dominique Rolin a publié son premier roman, Les Marais, en 1942 chez Denoël, puis Les deux sœurs ; Moi qui ne suis qu’amour ; Le Gardien ; L’Épouvantail ; Train de rêves ; ou encore Le Futur immédiat ; et son dernier roman avant le silence, Lettre à Lise (Gallimard, 2003). Les milliers de lettres de Dominique Rolin à Philippe Sollers sont désormais propriété de la Fondation Roi Baudouin et conservés par la Bibliothèque royale de Belgique, elles seront bientôt disponibles sur la toile, et internet va à son tour s’enflammer de tant d’amour, de passions littéraires et de joies partagées.
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