Les Poètes du Nord, Paul Verlaine (par Charles Duttine)
Les Poètes du Nord, avril 2019, 104 pages, 12 €
Ecrivain(s): Paul Verlaine Edition: Gallimard
Quand Verlaine tenait le rôle de conférencier
Que faire lorsque l’on veut défendre ce qu’on aime et que l’on est poète, dire l’ambition poétique, son enjeu majeur, son lien avec la vie ? On peut opter pour une préface, rédiger un manifeste, un Art Poétique, ou encore laisser la poésie se dire elle-même ? Il reste encore le truchement de la conférence. On en connaît quelques-unes de ces conférences qui ont marqué l’histoire ; par exemple celle donnée par Apollinaire en 1918, L’esprit nouveau et les poètes, ou encore Breton qui a multiplié les prises de paroles conférencières.
On nous apprend qu’il en fut de même pour Verlaine qui, vers la fin de sa vie, fit une tournée de conférences en Belgique, Hollande, Angleterre, et dans le Nord de la France qui lui était si cher au cœur. Il y était question du symbolisme, du Parnasse, des Poètes maudits, de sa propre œuvre… L’une d’elles restait inconnue, celle du 29 Mars 1894, prononcée à Paris au Café Le Procope. Verlaine l’avait intitulée Les Poètes du Nord. Redécouverte, elle vient d’être publiée par Gallimard avec une présentation très documentée de Patrice Locmant.
C’est un véritable travail d’archéologie d’ailleurs que fut la redécouverte de cette conférence. On la croyait perdue. De nombreux vestiges étaient connus, papiers de Verlaine, notes dans la presse de l’époque, échanges épistolaires, laissant espérer le monument oublié. « Elle sommeillait, depuis plus de cent vingt années », écrit Patrice Locmant, « entre les pages jaunies » d’une revue Les Enfants du Nord, « petite gazette au destin éphémère ».
Cette conférence fut donc donnée au Procope, un lieu que fréquentait Verlaine (Dieu sait pourquoi ?) et où se réunissaient les Rosati, une association nordiste se réclamant d’Anacréon et rassemblant des amateurs d’art, de poésie et de bon vin. Cette société anacréontique avait été fondée quelques années plus tôt près d’Arras et tirait son nom de l’anagramme d’« Artois ». C’est lors d’une réunion mensuelle de ces Rosati que Verlaine tint sa causerie sur Les Poètes du Nord. Il faut imaginer cette soirée. Une salle bondée, un public acquis à la cause nordiste et à celle de la poésie, des auditeurs manifestant joyeusement leur approbation et une atmosphère hédoniste loin de la conférence doctorale. Le contenu de cette conférence est bref et dense. Verlaine s’y présente en homme du Nord en s’adressant à des « compatriotes ». Il met en avant les particularismes régionaux en dénigrant le jacobinisme. Il célèbre deux entités : la Patrie « à côté » de l’Etat, une « unité factice », et « en dessous » les provinces qu’il présente « comme des cariatides sous un fronton ». Etaient d’ailleurs invités, à cette soirée, des représentants des Félibres provençaux, une société de poètes, équivalents dans le midi aux Rosati. Parler des « poètes du Nord », pour Verlaine, c’est donc défendre avant tout une littérature de terroir possédant une « couleur », un « parfum » ou encore une « âme individuelle » pour reprendre les mots mêmes de Verlaine.
La suite de la conférence réside dans l’évocation de poètes nés dans le Nord, ponctuée par la lecture de quelques-uns de leurs textes : Marceline Desbordes-Valmore, Sainte-Beuve et les chansonniers et poètes patoisants Desrousseaux et Lamy. Rimbaud fit connaître à Verlaine Marceline Desbordes-Valmore définie dans d’autres interventions comme le « génie faite femme » ou encore d’une « adorablement douce femme ». Sainte-Beuve quant à lui est qualifié « d’esprit (…) inquiet du plus beau ». Enfin, l’auteur d’Art Poétique qui réclame « de la musique avant toute chose » ne pouvait être insensible aux poètes patoisants et à leurs textes chantants, facétieux et mélodieux, comme Desrousseaux et son célèbre P’tit Quinquin.
Pour conclure, Verlaine dit tout son attachement à cette région à « la saveur de ce vieux Nord d’où ne nous vient peut-être pas toujours la lumière, mais à coup sûr, en même temps que la belle rêverie et la bonne mélancolie, la saine gaieté et l’ironie qu’il faut ».
Charles Duttine
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