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Les impatients, Maria Pourchet (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard 04.03.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Les impatients, janvier 2019, 187 pages, 17,50 €

Ecrivain(s): Maria Pourchet Edition: Gallimard

Les impatients, Maria Pourchet (par Sandrine Ferron-Veillard)

Relisez tous les titres ; les livres de Maria Pourchet rendent possible le mouvement, rendent sensible la vitesse, tous sont une course. Incarnent un certain essoufflement. D’emblée vous propulsent. Maria Pourchet a ce sens de l’accueil. L’auteure qui sait accueillir un lecteur, l’inviter dans son salon, sait le mettre à l’aise et surtout ! sait ne pas le lâcher au bord du. Ou le laisser en plan, appelez ça comme vous voulez.

« Quelque chose commence ici » sont les premiers mots. Cinq chapitres comme les cinq doigts de la main, cette main qui ne fait plus qu’utiliser une souris, un clavier, elle fait, elle défile, elle conçoit, elle déplace, elle copie, elle sélectionne. Elle efface.

Reine ? a ici encore l’adolescence dans le corps, le corps qu’on renie.

« Oui Reine va très vite. On tourne une page, on ne fait pas attention, on s’est pris dix-huit ans dans la vue ». Reine avance. Diplômée, une grande école, dites-vous, Reine appartient à cette génération que vous nommez en entreprise la génération Y. Un talent. Les entreprises justement, Reine les avale, les consomme, postule, repart, un boulot puis un autre. Vous ne parlez plus d’instabilité mais de plan de carrière. Reine bosse en mode projet. Sans contraintes déterminées. Jeune femme dynamique, tirée à quatre épingles, lisse et parfaite. Reine n’est pas tirée, Reine contrôle.

Le corps en dessous. Respire à son insu.

Reine est donc, en langage Ressources Humaines, une pépite. Reine veut du sens, de l’énergie, du défi, de l’exceptionnel. Reine est un talent dans l’art de s’adapter, de se refaire ou de se réinventer. Se reprendre et surtout matchermatcher en équipe. Contrôler mais sans s’abattre. Pour avoir mieux, un meilleur job mais pas seulement. Reine veut comprendre le sens.

Et vous ?

Vous pourriez, vous, là sur-le-champ, en quelques graphes, en quelques slides, en quelques visuels, pas trop de mots surtout, exposer votre quête pour votre boulot ? Ou le cercle d’or qui dirait d’abord pourquoi avant de prétendre comment ?

Reine embauchée, débauchée, chassée, embauchée par Elisabeth, N+1, la même avec dix années de plus. Et la génération X a son coach, entre autres, au moins une fois par semaine. Le coach traite le présent, se fout du passé, des lendemains et des casseroles, le coach booste les talents. « On insiste sur défi, sur initiative, on appelle les gens par leur prénom, on fait état d’émotions positives ».

Dix ans, presque deux générations, deux langues, deux plans du monde. Un fossé ?

Une erreur. La bourde ou l’acte manqué. L’erreur de clic. La fin du job pour Reine. Reine bascule. Jamais très longtemps. Génération Y rebondit. Évaluer, refaire, se reprendre.

Si le fond d’écran est inutile, absurde, factice, demain sera toujours autre. Le travail autrement. Reine ne veut plus faire semblant. Comme les générations avant elle. Être vraie, être dans le vrai. Être productive. Plus seulement.

Vous êtes Elisabeth, vous êtes Etienne, vous êtes Pierre, vous êtes Cyril, vous êtes Bernard, vous êtes Nadège, vous êtes Marin. Témoin ou complice. Vous êtes à la fois le salop de l’histoire, le lâche, le bon ami, la femme puissante. La raison. Vous avez l’auteure derrière vous, jamais très loin, à l’affût du moindre faux pas, la moindre faille. La moindre entaille. Son inspiration sur votre nuque. Vous êtes dans sa ligne de mire. Tant pis pour les autres. Les autres générations, ici holographiques, sont « les nostalgiques du Monopoly ». Arrêtez-vous un instant. Vous décrochez un peu, si avouez-le, vous savez bien, votre esprit qui soudain vous suggère ce qu’il faudra faire après, après le livre refermé, faire une course ou se mettre en route ou éteindre parce que demain vous repartez au taf. Le texte vous dit texto, exactement là, ici et maintenant, « inutile de supporter un laïus sur la logistique océanographique quand les données ne sont pas précisément éclairantes dans l’intrigue ». Vous ne pouvez pas nier l’évidence. Ok.

Reprenez.

La suite de l’histoire ?

Reine a créé son entreprise. Passée de la case salarié.e au statut de chef d’entreprise. Reine avance, droit devant, suit le cours. Reine a levé des fonds. « Reine au pot-au-lait cherche dans le ciel son étoile, pour dire merci ». Reine est devenue indépendante, est devenue solaire. Par amour peut-être, par défi sans doute, par frustration d’abord. Reine a eu ce qu’elle voulait. Si vite, c’est remarquable. Remarquablement bien observé de la part de l’auteure. L’acuité visuelle, comme « soft skills ». Traquez la pépite.

Ou être plaqué.e, les deux mains contre le mur histoire de bien voir les grains qui le composent, les fibres de la pierre ou la couleur du béton. La texture d’une lecture. Et ses tissures.

De l’idée à la pratique, l’entreprise « décolle ». La suite vous appartient. Il faut du style, du design, des couleurs modernes, oui des couleurs et de la modernité. Du bénéfice. Pour l’histoire donc, quelques salops, un ami fidèle, l’ami d’en face. Quelques lâches, bien sûr. Ceux qu’il faut détester pour aimer la suite.

De la pratique au dépôt de bilan, peu importe la chute, l’essentiel est de. À vous de jouer maintenant. Que feriez-vous, vous, par amour ? La chose la plus dingue que vous avez faite par amour ?

Vivre pour deux, vivre à deux. Plus encore.

En attendant que le grand amour surgisse, lisez les dix dernières pages assis face à la mer, c’est mieux, ça donne du corps, du souffle au texte, de l’amplitude, ça change la densité de chaque mot. Essayez avec la musique de Marianne Faithfull, Who will take my dreams away. Ou Agnès Obel, Track 1, album Aventine. Le mur ou la mer devant vous. À vous de voir. Quelle musique comme fond. Pour transformer un texte, vous l’approprier.

Pour vivre. Plus encore. Aller plus loin.

 

Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard

 


  • Vu : 1914

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A propos de l'écrivain

Maria Pourchet

 

Maria Pourchet est romancière. Elle a notamment signé Rome en un jour (Gallimard, 2013) et Champion (Gallimard, 2015).

 

 

A propos du rédacteur

Jeanne Ferron-Veillard

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Jeanne Ferron-Veillard naît le 16 septembre 1975, à Lorient. Grandit en Bretagne puis à Albi. A l’âge des grandes mutations, part sur Paris : pensionnaire à l’école de La Légion d’Honneur. Les études ? Niveau licence, quelques souvenirs en Lettres Modernes. Puis ce sera l’Angleterre où elle restera quatre années. Retour en France, entre autres responsable d’une très jolie librairie à Paris. Petit tour de France puis du monde, lit, écrit et vit depuis au même endroit incognito.