Les druzes de Belgrade, Rabee Jaber
Les druzes de Belgrade, janvier 2015, traduit de l’Arabe (Liban) par Simon Corthay et Charlotte Woillez, 340 pages, 22,90 €
Ecrivain(s): Rabee Jaber Edition: Gallimard
Le temps de l’exil
Pour comprendre ce magnifique roman, il faut se replonger dans l’Histoire du Liban du 19e siècle lors des affrontements entre les Chrétiens Maronites et les Druzes. Ces derniers sont des Arabes dont la population vit aussi bien en Syrie, en Galilée, en Jordanie qu’au Liban. Les Druzes sont des musulmans qui appartiennent à une branche dérivée de l’Islam : l’Ismaélisme.
Le roman prend naissance dans les conflits préexistants avant le massacre des chrétiens par les Druzes en 1860, année à laquelle Hannan Jaacoub, le protagoniste de l’histoire, sera déporté vers les Balkans. En effet, les révoltes successives des paysans druzes du Mont-Liban contre les abus du gouverneur maronite entraînent les tueries des chrétiens à Damas où on comptait presque 5000 victimes dans la seule journée du 9 juillet 1860. Le roman s’y intéresse et l’auteur évoque effectivement cette tragédie dans les premières pages de son roman :
« Une guerre civile avait éclaté dans les montagnes qui jettent leur ombre sur Beyrouth et, après trois semaines de combats et d’hécatombes, les Druzes avaient écrasé les chrétiens et s’étaient emparés du Mont-Liban. Relayée par les langues, l’onde meurtrière s’était propagée dans les airs jusque dans la ville de Damas : armés de fusils, les musulmans avaient attaqué le quartier chrétien et l’avaient incendié, faisant couler le sang dans les caniveaux ».
Le décor historique et le contexte permettent à Rabee Jaber de dérouler son intrigue. Pour punir les Druzes coupables, Ismaïl Pacha qui règne sur la région meurtrie décide d’exiler durant dix ans les Druzes qui ont participé aux massacres. Il les envoie dans les Balkans aux confins de l’Empire Ottoman. Cependant, devant les supplications du cheikh Druze, Ghaffar Ezzedine, Ismaïl Pacha lui propose un marché :
« Je vais vous accorder une faveur, cheikh Ghaffar (…) afin que vous ne rentriez pas seul chez vous, je vais vous donner quelqu’un pour vous accompagner. Choisissez un de vos cinq fils et emmenez-le. Faites vite, cheikh Ghaffar, partez maintenant, avant que je change d’avis et que vous vous en repentiez. Dieu vous garde ».
Si le cheikh a pu trouver une maigre consolation dans sa détresse, un innocent va payer les conséquences de cette transaction. Il s’agit de Hanna Yaacoub, chrétien et vendeur d’œufs durs sur le port de Beyrouth. Sa naïveté et son innocence ont rendu facile le travail des soldats. Ces derniers l’envoient de force sur le bateau en remplacement du fils du cheikh, libéré. Il entamera un exil qui durera douze longues années…
Les Druzes de Belgrade est un livre qui retrace la destinée tragique de Hanna Yaacoub. Capturé de force, il laissera derrière lui une très jeune épouse et une enfant en très bas âge. Le roman déroule son histoire, ses souffrances et ses espoirs de revoir un jour sa terre natale :
« Pourquoi dois-je mourir ici sans revoir ma femme, ma fille, ma maison ? Je suis parti vendre des œufs un matin, alors que le soleil n’avait pas encore émergé du mont Sannine. Il y a de cela dix, onze, douze ans ? La poussière me tombe sur la tête. Serait-ce là ma destinée : prisonnier sans crime, enseveli vivant dans cette terre étrangère ? »
Mais Hanna Yaacoub connaîtra aussi la solidarité et l’amour de ses frères d’infortune. Cette présence humaine ne sera pas de trop car elle l’aidera à tenir jusqu’au bout…
Les Druzes de Belgrade est un récit poignant. Le lecteur accompagne ces déportés jusqu’à Belgrade puis sur les chemins de la Bosnie et dans les sombres cachots d’Herzégovine. Hanna Yaacoub les connaît tous. Son calvaire l’emmène jusqu’au Kosovo et en Bulgarie. Chaque étape annonce maladie, privation, famine et mort. Le récit n’est en aucun cas un étalage de descriptions voyeuristes. Il y a malgré tout une volonté de survie et une dignité qui transpirent à chaque page de l’histoire.
Couronné par le Prix International de la fiction arabe (IPAF) en 2012, la maison Gallimard nous offre, à l’occasion de cette rentrée littéraire d’hiver 2015, un petit trésor de lecture. Rabee Jaber, par son talent d’écrivain, présente aux lecteurs une page d’histoire du Liban peu connue du public occidental.
Victoire Nguyen
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