Le théâtre est dans le pré (2) (par Marie du Crest)
Le Collectif artistique Le Lieu-Dit, après Puissance de la Douceur, spectacle donné en ouverture du « micro-festival post confinement », a donné carte blanche à Vanessa Amaral (membre du collectif) et à Gabriela Alarcon-Fuentes, pour rêver, penser le mot sirène en amont de la représentation. Chimère maléfique ou amoureuse, ayant traversé tant d’univers imaginaires, voici la sirène. Proposition, chantier, écriture en devenir, en attendant les sirènes, se dévoile : texte lu ou dit, feuillets encore en mains comme aux répétitions.
Travail donc à deux voix, à deux corps. Tout d’abord, songe du célèbre conte cruel d’Andersen. La petite sirène, là, dans la campagne, émerge d’une mer de hautes herbes blondes que le vent par rafales agite ; elle danse dans les vagues végétales. Mais n’y-a-t-il pas dans le domaine du roi de la mer un grand jardin ?
Les deux comédiennes, tour à tour, disent la partition du récit et endossent le rôle de certains personnages. L’océan peut être un grand tissu africain. La petite sirène partage le sort des exilés, des étrangers à son monde ; la musique vient d’Afrique : elle n’appartient pas au monde de ceux qui ont deux jambes. Elle aime son prince humain sans retour. Les petits enfants, dans le public, assis dans l’herbe, écoutent ou trottinent dans le pré.
Mais comment aujourd’hui revenir sur cette étrange figure, tantôt oiseau comme chez les Grecs, tantôt poisson ; à chacun sa sirène, sans doute, s’interrogent Vanessa Amaral et Gabriela Alarcon en voix off : leur travail, leurs échanges sont ainsi donnés à entendre aux spectateurs.
La sirène n’est plus seulement un corps féminin mais son vestige sonore, celui de toutes les alertes du monde des villes. Leur violence : sirènes policières, sirène des ambulances qui foncent contre la mort des blessés ou des malades.
Un autre texte encore en devenir, à faire entendre, après avoir endossé un nouveau costume, derrière un arbre, coulisse improvisée, pour figurer deux hommes, deux nouveaux personnages lancés par l’écriture de Samaël Steiner, poète et homme de théâtre parce qu’il en écrit, parce qu’il fait (de) la lumière sur le plateau… Quelque chose « comme un départ de feu entre le dialogue et le monologue ».
Un homme a tout perdu, a tout quitté. Un autre lui propose les basses besognes afin de survivre : monter la garde et prévenir les vols dans les poubelles et ne pas hésiter à se saisir des contrevenants. On entend une sirène retentir menaçante et inquiétante : il ne reste rien alors de la poésie mythologique : un simple accessoire de théâtre et de mise en scène.
En attendant les sirènes, telle une gestation d’une œuvre de S. Steiner, en somme.
On peut retrouver jusqu’au 23 août 2020, les spectacles du micro-festival Dix dans le pré, à Claveisolles dans le Rhône, vendredi et samedi en soirée et le dimanche en matinée. On peut aussi se référer à la page Facebook du Collectif Le Lieu-Dit.
Marie Du Crest
Les textes de Samaël Steiner sont, pour le théâtre, édités aux Editions Théâtrales, Poème bleu Nikhol sous la surface de l’eau(2018), et pour la poésie, en 2016, Seul le bleu reste, aux éditions Le Citron Gare, et Vie imaginaire de Maria Molina de Fuentes Vaqueros, aux éditions de L’Aigrette.
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