Le retour de Silas Jones, Tom Franklin
Le retour de Silas Jones (Crooked Letter) Traduit de l’américain par Michel Lederer. 390 p. 22,90 €
Ecrivain(s): Tom Franklin Edition: Albin MichelBienvenue au cœur du Mississipi. Sa végétation luxuriante, sa faune de serpents et rats, et ses habitants guère plus avenants.
Le retour de Silas Jones nous plonge droit au cœur d’un pays où il ne fait pas forcément bon vivre. En tout cas où on regarde où l’on met les pieds en marchant, mais aussi en ouvrant sa boîte aux lettres. On ne sait jamais, un serpent à sonnettes pourrait y avoir été glissé…
Larry Ott a 41 ans. Depuis des années, il vit seul dans la maison de ses parents devenue la sienne. Larry est mécanicien automobile. Il a un garage, mais aucun client, sinon quelques personnes perdues en chemin. Tous les habitants du coin l’évitent. Plusieurs années plus tôt, il a été impliqué dans la disparition d’une jeune fille, Cindy. Ils étaient allés ensemble au drive-in, et à l’issue de la soirée, elle a disparu. Son corps n’ayant jamais été retrouvé, Larry n’a pu être prouvé coupable, mais pour tout le monde, il l’est. Ainsi, il est devenu « Larry le Pourri ».
Il n’est pas rare que des gens viennent rôder autour de chez lui, jettent des cailloux sur sa maison, fracassent sa voiture, cassent sa boîte aux lettres.
Vingt ans plus tard, quand la fille des Rutherford disparaît, Larry est l’un des premiers soupçonnés. Un « usual suspect ».
« La fille de Rutherford avait disparu depuis huit jours quand, rentrant chez lui, Larry Ott trouva un monstre qui l’attendait. »
Un monstre qui lui tire une balle dans le cœur.
Silas Jones est représentant de la loi. Il est surnommé « 32 », à cause du numéro de son maillot de base-ball, mais aussi à cause de sa fonction, constable 32. Il est tranquille, se fait prendre de haut par ses supérieurs qui ne voient en lui qu’un type sympathique, mais loin d’être l’enquêteur qu’il rêverait d’être.
Autre fois Silas et Larry ont été amis. Tout aurait pourtant dû séparer les deux garçons : la classe sociale et la couleur de la peau.
Silas va être amené à enquêter sur l’agression dont a été victime Larry, mais aussi sur la disparition de la petite Rutherford. Contrairement à ce que tout le monde croit, il est persuadé de l’innocence de son ancien ami avec lequel il n’a pas parlé depuis plus de vingt ans. Comme il est également persuadé de son innocence dans l’affaire Cindy.
Quelques jours avant de se faire tirer dessus, Larry avait laissé un message affolé sur son répondeur. Les hommes ne s’étaient pas parlés depuis des années…
Le retour de Silas Jones est un portrait croisé de deux hommes qui n’auraient jamais dû être amis. Et qui ont cessé de l’être. Tom Franklin multiplie les allers-retours entre passé et présent pour comprendre comment un noir pauvre, vivant dans une cabane, est devenu officier de l’ordre et, à l’inverse, comment un blanc se retrouve soumis à une vindicte publique à laquelle il n’oppose guère de résistance. Il semble se résigner. Au lieu de déménager, quitter cette terre hostile, il est resté et fait face sans broncher aux quolibets de toutes sortes. Mais les apparences pourraient-elles être trompeuses ?
Pendant que le puzzle se met en place, Tom Franklin nous transporte littéralement dans le Mississipi. Il s’attarde sur le paysage, procède à de longues et précises descriptions qui font bien ressentir la moiteur des lieux. La nature est une menace constante dont il vaut mieux garder ses distances. Tout peut arriver, à tout moment.
Mais pire qu’elle, il y a les hommes. Sales, menteurs, alcooliques, violents et prêts à tous les coups bas.
Et tout à coup, l’auteur fait exploser l’action. Elle surgit avec violence, à l’image d’un serpent qui attaque et mord. Tout s’est déroulé en un éclair, mais le moment restera longtemps gravé dans les mémoires…
Tom Franklin braconne sur les terres de William Faulkner ou de Cormac McCarthy, mais sans toutefois atteindre la dimension lyrique des maîtres. Le retour de Silas Jones est un livre bien mené, prenant, mais qui n’atteint pas le souffle épique de l’un des précédents ouvrages de l’auteur, La culasse de l’enfer. On regrettera une fin un peu mélodramatique, trop pleine de bons sentiments, qui ne rend pas tout à fait hommage à la dimension tragique du reste du livre.
Yann Suty
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