Le jaune et le noir, Tidiane N'Diaye
Le jaune et le noir, Gallimard Continents noirs avril 2013, 153 p. 18,50 €
Ecrivain(s): Tidiane N'Diaye Edition: Gallimard
Quand, il y a peu, depuis la longue pinasse remontant le Niger, les guides maliens apercevaient sur la berge, une bicyclette « à moteur », pétaradant comme nos antiques Solex, leurs rires n'en finissaient pas : « une chinoise ! Dès qu'elle sera en panne, elle ne sera pas réparable ! Pas chère, mais pas solide ! »... Là - bas, aussi, la Chine était partout ; objets, , marques et réclames... et, déjà pas mal d' hommes.
Après la France Afrique, la Chine Afrique ? Ce qu'on entend par là, vaut pour les deux concepts : prendre, et encore se resservir, sous couvert de protections et de liens « amicaux », si ce n'est « familiaux, sauce maffieuse ». Tractation évidemment, hautement inégalitaire. Voilà l'unique sujet autopsié par le livre de « Continents noirs » ; comment le jaune mange et mangera le noir, et jamais l'inverse.
C'est bien la scène d'une terrible et implacable prédation dont il s'agit, mobilisée par le profit, l'enrichissement inextinguible de la formidable Chine. Frisant la rapine, la razzia d'antan, faisant peu de cas, des conventions internationales, et ne parlons pas d'une quelconque morale. Voilà donc un livre qui cogne, qui dénonce, et là, et là encore... on s'en doutait, mais, à ce point ! Les sous titres en disent long : « le réveil du dragon à l'assaut de la proie africaine », « la stratégie du monstre affamé ». Nulle dentelle, on le voit ! N' Diaye est, on le sait, un « crayon » connu pour faire de ses causes autant de missiles, au risque, quelquefois de provoquer. Aussi, aucun regard nuancé, aucune idée relative, aucun petit « mais... » face à la Chine, portraiturée, d'un bloc, en vol de sinistres bandits venus de l'Est... ceci, sans craindre de généraliser, et c'est, forcément, ce qui dérange, tout au long du livre, comme dans un plat trop salé, lui enlevant, du coup, un poids certain dans la force argumentaire...
L'étude est historique – fort intéressante, remontant, loin, au temps de ces Grandes Découvertes occidentales, dont on apprend qu'il s'en est fallu d'un cheveu « de natte », pour qu'elles aient été chinoises... la grande escadre de l'amiral Zheng He, longeant les côtes orientales africaines, croisant les caravelles portugaises, dessinant d'excellentes cartes, s'installant à Malindi, Mombasa, l'Afrique du sud... on imagine ! Qu'attend un magicien de la pellicule d'Hollywood, pour nous faire rêver ? Et, puis, dès après, une Chine, qui se replie vite sur elle même, ses terres infinies – Empire du Milieu, frileuse devant l'Océan, ses expéditions lointaines, son grand commerce, au point qu'exagérant à peine, N ' Diaye nous dit : « jusqu'en décembre 2008, la flotte chinoise ne naviguera plus sur l'Océan Indien ». Pour autant, l'homme noir, lui, fut déporté en masse dans las cours chinoises, où les « ye yen, ou sauvages » étaient recherchés, « autant que par les Arabo-musulmans, et bien avant que le premier captif africain ait été embarqué en direction du Nouveau Monde ».
Immense saut dans le temps, et voici, Mao et sa théorie des « trois mondes ». L'Afrique y incarne le Tiers Monde, exploité – par l'Europe coloniale notamment, puis par les « voleurs » occidentaux, à l'affût de ses richesses. « Le passif colonial des occidentaux est le cheval de Troie des chinois », puisque la compassion, l'empathie des « entre Sud » malmenés, ont permis au monde chinois de s'installer sur les ruines fumantes des présences post colonialistes – comme si de rien n'était ! La démonstration de N' Diaye est ici, vraiment convaincante...
Impressionnante, la revue des domaines « chinisés » en terre africaine : des médicaments en contre façon, qui hantent les rues, et propagent la mort – malaria et sida, en triste étendard ; de toutes les « copies » en tissus, disques, etc, au point que « sur la continent noir, toute marchandise contrefaite est appelée chine-toc, c'est à dire toc, venu de Chine » ; tout ceci, sur fond de corruption digne des films les plus noirs.
Organisée, l'OPEA géante sur les pays africains ; on se croirait dans un énorme jeu d'échec, où tous les coups résonnent sinistrement d'avance : « dans le package deal chinois, un seul projet peut contenir un barrage hydraulique, une station de pompage, une centrale électrique, un chemin de fer d'acheminement, une raffinerie, une station portuaire. Des infrastructures complètes et cohérentes du début de l'extraction de la matière première à son exportation vers la Chine ». Ce sont ces pages là, qui sont les plus fortes, et qui résonnent longtemps après la dernière page lue. En un mot, elles impressionnent, déroulant l'imbrication de ces mécanismes économiques et commerciaux, implacables, écrasant tout - chars de Tien An Men transposés. , Peut-être, qu'en plus de compatir aux pauvres proies noires, on a peur, tout bêtement ; instinct archaïque, venu du fond des cultures et de l'Histoire... « Quand la Chine s'éveillera... » a dit celui ci, et celui là ! Car, il y a un ton messianique, des envolées propres à dresser les châteaux forts, dans ce livre ! Et, c'est aussi ce qui soulève en nous, un malaise presque constant...
Pour autant, de ci de là, quelques propos rapprochent le livre de l'essai « historique » auquel il voudrait correspondre ; un recul, des sources plus récentes, et mieux maîtrisées, des chiffres plus affinés : ainsi, cette diaspora chinoise, faite d'un « recyclage de laissés pour compte du nord de la Chine », ces maîtres du commerce qui représentent la phalange sociale développée d'une partie de la Chine de l'Est, soit, presque rien au regard de toute la population... bref, ce n'est pas « la » , mais « des » Chine qui fondent sur l'Afrique, et encore, pas partout. Qu'on nous permette, par contre de regretter ce – trop - peu de lignes consacrées à l'achat des terres, alors, qu'en vue de l'explosion démographique et des aléas climatiques, il y a là, un véritable horizon inquiétant...
« Le jaune et le noir », cauchemar de vos nuits blanches ? Peut-être. Déferlement provocant aux fins de sonnette d'alarme ? Aussi. Première approche décapante ? Sans doute. Enquête historique et scientifique ? Non. Un pamphlet, plutôt, qu'on lira en se gardant, souvent, de chausser les lunettes du mythe du complot … la géo politique de la présence chinoise en Afrique – vrai phénomène, mérite mieux.
Martine L. Petauton
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