Le coeur de l'homme, Jón Kalman Stefansson
Le cœur de l’homme (Hjarta Mannsins), trad. de l’islandais Eric Boury, 2013, 452 p. 22,90 €
Ecrivain(s): Jon Kalman Stefansson Edition: Gallimard
« Où résident le bonheur et la plénitude, si ce n’est dans les livres, la poésie et la connaissance ? »
Après le magnifique Entre ciel et terre, prolongé par La Tristesse des anges, qui était déjà un ton en-dessous, Jón Kalman Stefánsson conclut sa trilogie avec Le cœur de l’homme. Disons-le tout de suite : c’est l’épisode le plus faible.
L’intrigue de ce troisième opus commence là où celle du deuxième se terminait. Jens le postier et le gamin ont manqué de ne pas sortir vivants de la tempête de neige qu’ils ont bravée. Ils ont été recueillis par le médecin d’un village. Le gamin se réveille avec l’impression de revenir soudain à la vie. Il n’est d’ailleurs pas certain d’être toujours vivant.
« As-tu décidé si tu voulais vivre ou mourir ? s’enquiert cette femme ou plutôt cette jeune fille. Elle est rousse, les cheveux des défunts sont roux. Je ne sais, répond-il, je ne suis pas sûr de connaître la différence, et je ne suis pas non plus sûr qu’elle soit si grande ».
L’hiver cède bientôt la place au printemps et à l’été. La nature devient moins hostile. On ne risque pas la mort en sortant de chez soi.
Jens et le gamin reprennent des forces. Le gamin est troublé par une jeune femme à la chevelure rousse. Puis ils reprennent le bateau pour rejoindre un autre village, celui où ils ont vécu leur vie d’avant leur aventure de La tristesse des anges.
« Ils ont traversé ensemble l’enfer et le bout du monde, ils ont vu des vies, ont été confrontés à la mort, le lien qui les unit ne se rompra jamais, c’est le destin qui les a liés l’un à l’autre et nul ne saurait se défaire d’un tel nœud, qu’il soit homme ou démon ».
On note une certaine inflation des pages. Le premier tome faisait 240 pages, le deuxième (qui souffrait déjà de quelques longueurs), 382 pages. Le cœur de l’homme, enfin, s’étend sur 458 pages. Malheureusement, c’est quelques-unes de trop. Plus son intrigue avance (car au fond, il s’agit d’un seul et unique gros roman), plus l’auteur a comme du mal à la contenir. Il multiplie les personnages, s’égare dans des rebondissements secondaires et ne colle plus à ses personnages principaux, comme le gamin ou Jens le postier.
Il y a, dans ce dernier opus, beaucoup moins de descriptions des paysages islandais. Dans les deux premiers tomes, l’auteur avait régalé avec un sens du détail sublimé par une écriture poétique. Mais c’est vrai qu’après s’être intéressé à la terre et au ciel, à la neige ensuite (surnommée « la tristesse des anges »), il s’attaque à la psychologie et au « cœur de l’homme ». Or le poète est bien meilleur à observer la nature sauvage qu’à scruter les intermittences du cœur des uns et des autres.
Jón Kalman Stefánsson a un peu tendance à user et à abuser des grandes phrases, formules sentencieuses (qui peuvent d’ailleurs prêter à discussion), mais qui créent une certaine lourdeur.
« Pétur a légèrement secoué la tête, comme afin de se débarrasser de ce bruit qui l’assourdissait, un brouhaha de langues étrangères, tout à fait incompréhensible, du reste, depuis quand peut-on comprendre une autre personne, y compris si elle s’exprime dans notre propre langue ? ».
Le roman souffre d’un problème de rythme, notamment dans sa partie centrale. L’auteur se rattrape sur la fin qui atteint des sommets d’intensité et de lyrisme. Ces pages valent les plus belles d’Entre ciel et terre et closent admirablement la trilogie. Croit-on. Car malheureusement (et c’est sans doute le symbole de ce roman), Jón Kalman Stefánsson se sent obligé d’ajouter quelques pages qui non seulement n’apportent rien, mais viennent surtout casser la puissance épique des pages précédentes et achèvent sa trilogie d’une décevante touche mièvre.
Yann Suty
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