La vie de jardin, Alexis Brocas
La vie de jardin, décembre 2014, 369 pages, 20 €
Ecrivain(s): Alexis Brocas Edition: Gallimard« Ils viennent pour les trottoirs rouges, les créneaux en marche avant, les jardins, les maisons en meulière et les résidences avec tennis, pour la pension, l’église… l’absence quasi totale de population nord-africaine ». Bourgeois de « Saint-Clone », en leur aquarium de haut standing, habillés de « motifs et sigles de l’héraldique bourgeoise »… Clone… c’est bien ça, tous, parfaits clones les uns des autres, des Aymeric aux Anne-Perrine, ou Solenne (pas la moins intéressante). On est en pays des Dessaint-Tracou, ou autres, « tourbillon de familles Lacoste – en blanc, bleu ciel et rose pâle pour les plus audacieux », hantant de page en page les tournois – souvent juniors – de tennis entre gens d’ici.
Décor posé tel que sous microscope, avec s’il vous plaît, l’ensemble des détails pour vous faire, au bout, une idée juste. Les « Bourges » de Droite assise, en bordure Ouest de Paris, vous pensiez connaître ; vous vous trompiez. Jusqu’à ce livre-là, éminemment politique, au sens premier du mot. Pas un bouton de veston ne manque, pas un reflet de coiffure de dame à serre-tête, rien de ce chemin complet et souvent éprouvant pour les nerfs, qui nous mène sur pas loin de trente ans dans ce zoo étrange, cruel, parfois pitoyable. Et, pour cause ! Alexis Brocas est – sûr – de ce pays, de ces rues, de cette pension religieuse ! Et ces mères et ces sœurs, il les connaît mieux encore que le fond des poches de ses sapes d’un luxe-class et un rien austère.
Et, ajoutons, sans beaucoup de risques, qu’il a quelques menus comptes à régler avec eux… Ce qui nous interrogera jusqu’à la dernière ligne bue, c’est du reste, de peser la tentation autobiographique de l’auteur – et, du coup, à travers qui ? Ou quels mélanges de qui, et qui ? Ou, pourquoi pas, d’une espèce autre qui regarde ? et, puis, d’accepter le parti-pris du roman, plus apte à l’acuité, sans doute, et non moins efficace dans la méthode visant à tuer son enfance, ou à finir une fois pour toutes, de le faire…
Tout est passionnant dans ce manuel de sciences (naturelles ? humaines ?). Usages d’espèce particulière : le bourgeois Francilien, comment ça marche ; ce que ça mange, ce que ça fait en week-end ; comment ça baise, et pas accessoirement du tout, avec quoi ça se drogue ? Où et même pourquoi, ça prie ? Sans oublier le vote pour le maire, en qui – on se trompe sans doute – on voudrait reconnaître un certain ancien jeune premier magistrat d’un Neuilly voisin, et les tentations encore un brin coupable pour soutenir le discours de ce Jean Xavier Capel, sis avec son parti « Action Patriote », en un « avion » aux allures de paquebot…
L’analyse – l’autopsie, scalpel au bout du stylo – privilégie le petit de l’espèce, le jeune, sa morphologie psychologique, son évolution ; les relations entre congénères ; les forts, les faibles, les massacrés, les pervers et les pseudo-tueurs. Les rapports aux parents ; s’ils sont correctement maternés, ou, bouffés, ou abandonnés. Ou, tout à la fois. Tout ça à l’abri des vieux murs d’une pension religieuse digne souvent des « Amitiés particulières », souvenirs sulfureux des lectures de nos adolescences. Portraits – dire au vitriol, serait affaiblissement – des « bons pères », de leur enseignement. Comment dirait-on de nos jours, et d’ailleurs : de la transmission des valeurs ? Petit bijou, que ce voyage en pension : rencontré (n’est-ce pas, Alexis Brocas ?) dans un tel niveau d’intime, que le rendu en est parfait ! Y compris, dans les échappatoires – très haut et épais niveau de fantasmes – très sexuel-cru (jeunes lecteurs de tous quartiers s’abstenir !), ou tendance jeux de rôle, glauques et malsains, à l’envi.
Regard sans aucune concession sur ces familles, riches, prisonnières de leurs liens intra, dont les travers sont posés devant nous, presque à plat – à nous de voir, ce qu’on en pense :
« Estelle… pendant que ses enfants dînent, elle surveille leur conversation, et intervient dès qu’elle monte en volume ou s’émaille de grossièretés. Elle n’a pas à sévir souvent. Marguerite, Capucine, Justine, Clémence et Dominique ont été bien élevés, de vrais petits anges… pas comme ces gamins sages à l’extérieur, infernaux à la maison, pas du tout ».
Et puis, tranchant le train-train quotidien de ces Marie Chantal, de l’autre côté du Périf, à leur façon, éclatent – sang et noir – des pages dont on sort retournés, le cœur au bord des lèvres : les ados et la drogue, ou le suicide, la mort. On se prend à s’étonner : des petites bêtes comme les autres, ces banlieues à l’envers ? Des enfants, comme les nôtres ?
Quelquefois – comme en n’y pensant pas – on nous verse quelques gouttes de ce qu’on pourrait utilement en penser, pour ceux d’entre nous, qui se laisseraient aller à gober tout au pied de la lettre :
« La (grande) maison, le (beau) jardin, les enfants (brillants et en pension) – nb : ce qui est entre parenthèse est purement facultatif – quand on a toute la panoplie, quand les autres vous envient, on finit par se croire heureux… ».
Heureux, comme poisson (tout, sauf rouge) en bassin de l’Ouest parisien ? Heureux, en tous cas, comme son lecteur.
Martine L Petauton
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