La tristesse des anges, Jon Kalman Stefansson
La tristesse des anges, (Harmur Englanna) trad de l'islandais par Eric Boury, 382 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Jon Kalman Stefansson Edition: GallimardAprès Entre ciel et terre, Jón Kalman Stefánsson nous embarque avec La tristesse des anges, dans un nouveau périple dans les rudes terres islandaises de la fin du XIXe siècle.
Ce deuxième roman commence quelques semaines après la mort de Bárður, le héros de son premier livre. Certains personnages sont de nouveau conviés, comme le gamin. Alors que le premier opus se passait surtout en mer, celui-ci se déroule principalement sur terre, mais surtout dans la neige.
Jens est postier et sillonne l’Islande à pied ou à cheval pour distribuer le courrier, pour un salaire qui lui permet à peine à couvrir ses frais, dans des conditions souvent extrêmes lors des interminables hivers. Au début du roman, il arrive ainsi dans une auberge, complètement collé à la selle de son cheval. Il a gelé.
Cette auberge a beau être loin de tout, un trou perdu où il ne se passe jamais rien, il est possible d’aller encore plus loin, jusqu’à « l’extrémité du monde ». C’est là que l’on envoie Jens pour une nouvelle tournée. Cependant, il ne peut mener seul cette expédition à travers les fjords, car il lui faudra traverser une mer et elle l’effraie au plus haut point, le paralyse.
« Ce géant qui ne craint aucune tempête et a traversé des landes périlleuses par des temps déchaînés sans jamais plier est figé dans l’effroi ».
C’est pour cela que le gamin est sommé de l’accompagner. Pour l’amateur de poésie qu’il est, le taciturne Jens n’est pas franchement le meilleur compagnon de route.
« Jens s’arme toujours de précaution quand il s’agit des mots ». Il n’aime pas parler, car « c’est dans le silence qu’on se repose le mieux et les mots en ont écarté plus d’un de sa route ».
« Il est en soit quelque peu affligeant que cet homme ne s’épanouisse nulle part aussi bien qu’à distance de son prochain et sa compagnie, en réalité à mille lieues de l’existence ».
Pendant de longues pages, La Tristesse des anges suit deux hommes qui marchent en tentant de résister à une nature déchaînée. Faire quelques mètres demande des heures. Le vent transit, la neige aveugle, le froid assassine, mais ils doivent continuer coûte que coûte, résister à la fatigue, à l’envie de dormir qui pourrait être fatale.
« Quelle raison un être humain aurait-il de sortir par un temps pareil, si ce n’est pour y mourir ? »
Que se passe-t-il dans ce livre ? Pas grand-chose finalement. Pas de tours de passe scénaristiques, de coups de théâtres, de rebondissements improbables. On est dans le contemplatif, très narratif, un peu rêche parfois, volontairement lent, mais que Jón Kalman Stefánsson sublime grâce une écriture dense et un style poétique.
« La neige en dehors est blanche, et certains mots sont plus riches de couleurs que tous les arcs-en-ciel ».
On se souvient que Bárður, le héros d’Entre ciel et terre, était mort parce qu’il avait oublié sa vareuse en partant en haute-mer, trop absorbé qu’il était par la lecture de poésies de Milton. A plusieurs reprises dans La Tristesse des anges, Jón Kalman Stefánsson met de nouveau en garde contre la poésie.
« L’excès de poésie ramollit les hommes, il affaiblit les gens et finit par en faire des incapables ».
Une mise en garde dont on ne tiendra pas compte, évidemment, pour mieux se plonger dans ce livre.
Yann Suty
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