La solitude est sainte, William Hazlitt
La solitude est sainte, mai 2014, 126 pages, 14 €
Ecrivain(s): William Hazlitt Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)
Avant tout destiné à la peinture, William Hazlitt (1778-1830) offre dans La solitude est sainte le rythme et la coulée à la sensibilité romantique du littérateur en lui. Mais le peintre et l’écrivain s’y retrouvent, puisque tous deux exercent le goût de l’observation sur le vif ; l’œil au quotidien sans cesse aux aguets de l’environnement journalier en ses détails et sa vue panoramique ; une érudition empirique fondée sur l’expérience et l’étude de la nature qu’il importe non pas de copier mais d’exprimer (cf. Préface de Lucien d’Azay in La solitude est sainte).
Ce recueil, dont le titre est emprunté au Stello d’Alfred de Vigny, se compose de trois essais dont une sensibilité reconnaissable parcourt la teneur et la cohérence des propos sur l’art de vivre célébré. Partir en voyage ainsi rejoint Vivre à part soi dans la liberté individuelle défendue et illustrée par une solitude choisie et assumée pour mieux vivre en harmonie avec le monde extérieur observé à distance, et avec soi-même. Le goût et l’envie d’une existence itinérante va de pair chez William Hazlitt, qui a publié ces essais en 1821 et 1822, avec des départs non manqués dès que cela lui était possible et pleinement assumés en leur solitude désirée afin, justement, d’aller mieux à la rencontre de l’Autre.
L’une des choses les plus agréables du monde est de partir en voyage ; mais j’aime partir seul, écrit Hazlitt. Je peux apprécier la compagnie dans une pièce ; mais dehors, celle de la nature me suffit. Je ne suis jamais moins seul que quand je suis seul.
Cette dernière phrase, dans son allure d’adage – procédé pour lequel Hazlitt avait une prédilection – donne d’entrée la tonalité du recueil ; instaure le décor.
La nature y est célébrée dans une observation éloquente d’exactitude et de regards attentifs, curieux, pointus parce que passionnément posés. W. Hazlitt ne partait pas sur les routes (on the road – n’oublions pas qu’Hazlitt a pu être considéré comme un beatnik en redingote) POUR partir sur les routes ; ni ne partait POUR partir. Non, ses escapades avaient un objet et un but précis assignés : l’observation, la découverte, l’acquisition d’une meilleure connaissance de la nature.
Robert-Louis Stevenson écrivit : On devrait imposer une taxe à tous ceux qui n’ont pas lu William Hazlitt. Robert-Louis Stevenson…
Le style de l’écrivain anglais est à la fois fluide et tonique, émaillé de détails justes et de petits faits vrais tels que les recherchait un certain Stendhal, et marqué par un esprit d’indépendance dont l’autonomie de pensée se reflète éminemment dans Vivre à part soi.
Grand lecteur de Shakespeare et de Milton, William Hazlitt ne manque pas de citer ses références, tout en ouvrant des fenêtres dans la narration à une prose ample qui traite avec minutie d’un sujet comme un peintre un motif sur sa toile, avec sa palette de couleurs. Hazlitt semble découvrir le sujet en même temps qu’il écrit ; l’éclot à l’aide d’une palette de sentiments mis en mots ; et le donne à voir au lecteur mieux que ce que celui-ci aurait pu en pressentir.
La partie intitulée Du passé et de l’avenir est davantage curieuse dans son originalité de propos puisque, d’une sensibilité romantique portée naturellement aux rêves et donc, sur une totalité du monde vers l’avenir (pensons à ce tableau célèbre de Wilhelm Friedrich représentant le poète contemplant de son altitude le monde, ou pensons à l’image du Poète renvoyée par Victor Hugo) – a contrario l’auteur valorise le passé dans La solitude est sainte, préconisant un retour sinon un attachement inaltérable du sujet aux souvenirs. Prédilection de William Hazlitt pour le passé, donc.
La cohésion et la progression des trois essais réunis dans La solitude est sainte se lisent ainsi : l’invitation à Partir en voyage tout en observant le monde d’une façon dégagée et solitaire (éthique d’une position idéale à adopter : le Vivre à part soi), grâce à un attachement fidèle au souvenir, source beaucoup plus sûre de bonheur que l’avenir (Du passé et de l’avenir).
Un triptyque mis en couleurs par l’originalité d’un auteur dont l’esprit du romantisme émane tout au long du livre.
Si la solitude est sainte, la liberté individuelle est ici préservée / sauve-gardée.
Murielle Compère-DEMarcy
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