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La Soeur, Sándor Márai

Ecrit par Yann Suty 19.11.11 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Recensions, Pays de l'Est, Roman

La sœur (A Nover), traduit du hongrois par Catherine Fay, 310 p. 20 € (1946)

Ecrivain(s): Sandor Marai Edition: Albin Michel

La Soeur, Sándor Márai


La sœur est un modèle de construction, un Psychose avant l’heure en termes de mécanique. Où le héros n’est pas forcément celui que l’on croit. Tout du moins, celui que l’on suit pendant toute la première partie du livre disparaît tout à coup. Il laisse la place à l’un des personnages secondaires et un nouveau livre commence. Comme si La sœur était composé de deux livres en un seul, deux longues nouvelles qui se chevauchent et qui se répondent. Ou plutôt où la deuxième mange littéralement la première.

C’est le quatrième Noël de la seconde guerre mondiale et le narrateur, un écrivain, est parti passer quelques jours dans une auberge, située au sommet d’une montagne de Transylvanie. Bientôt, le temps se détraque, il se « calque sur la guerre ». Tous les occupants de l’auberge se retrouvent acculés dans l’auberge, pris au piège, comme mis « en quarantaine ». Car le lieu n’est plus franchement hospitalier. Il est humide et il sent le graillon. Pour ne rien arranger, le narrateur se retrouve en compagnie de gens avec lesquels il n’a pas envie d’échanger plus de trois mots. Sauf un : Z. Grand musicien, il est devenu « l’ombre de l’être triomphant et légendaire » qu’il a été.

Peu après des circonstances que nous ne révélerons pas ici, le musicien va à se confier au narrateur. Il va lui expliquer qu’une étrange maladie l’a empêché de poursuivre sa carrière.

« C’est le souvenir de cette conversation que j’aimerais fidèlement transcrire ici », explique l’écrivain.

Puis, le soleil réapparaît enfin, les uns et les autres peuvent sortir de l’auberge. Le narrateur quitte bientôt les lieux sans avoir revu Z… Leur rencontre n’a finalement été qu’une courte parenthèse.

Huit mois plus tard, le narrateur apprend sa mort dans le journal. Peu après, il reçoit une enveloppe contenant un manuscrit de Z. Une sorte de journal intime.

Alors, un autre roman commence. L’histoire de Z.

On abandonne le narrateur, comme s’il n’était qu’un passeur qui nous a décrit dans quelles circonstances il a eu entre les mains ce manuscrit, comme si c’était cela seul qui comptait et que le véritable objet du livre était l’histoire de Z…

A la suite d’un concert à Florence, Z. se retrouve victime d’un mal mystérieux. Il est hospitalisé pendant près de trois mois.

Quatre femmes s’occupent de lui, des religieuses (d’où le titre) : Cherubina, la belle et jeune, la sévère Carissima, la solennelle Matutina, l’acrimonieuse Dolorissa.

Elles sont aussi bienveillantes qu’un peu inquiétantes, d’autant plus que Z. est dans un état semi-hallucinatoire, il cherche en vain, et les médecins avec lui, ce qui a provoqué son mal. Ce qui pourrait être, plus ou moins, lié à l’amour qu’il entretient depuis des années pour une femme mariée, et frigide… Mais dans l’état quasi-hallucinatoire qui est le sien, échafauder des théories devient très tentant… Alors, pourquoi s’en priver ?

Alors que la guerre bat son plein à l’extérieur, c’est à un combat contre son corps que Z. est amené à livrer.

Z. écrira une sorte de carnet de bord durant ces trois mois. Lui que ses mains ont abandonné, foudroyées par une petite paralysie qui l’empêche de jouer du piano comme avant, il se fait écrivain. Et par une certaine ironie, il estimera que seul un écrivain, qu’il a pourtant rencontré au hasard, sera digne de faire quelque chose de ce texte. Car même si c’est la première fois qu’il s’adonne à l’exercice, il possède un don. En termes de style, de puissance de la phrase, il surpasse l’écrivain qui narre la première partie de l’histoire.

L’écriture devient pour Z. une nouvelle musique. Car c’est là qu’il retrouve une vraie mélodie pour décrire le mal qui est le sien, alternant les longueurs de phrases, avec une écriture, tout sauf simpliste, qui coule avec fluidité.

Pendant des pages et des pages, nous ne lisons finalement que l’histoire d’un homme allongé sur un lit. Ce qui, a priori, n’est pas forcément le plus palpitant au monde se lit comme un véritable thriller. Car l’angoisse est partout. Entre ce mal à l’origine inconnu, qui pourrait avoir été créé par Z., mais peut-être pas, ou cette présence des sœurs et des médecins, qui se succèdent à son chevet, un vrai mystère envahit peu à peu la chambre. Encore une fois, Psychose n’est pas loin.

La sœur est une vraie réussite. Un roman difficile à classer, entre le drame et le thriller psychologique à l’épouvante feutrée, flirtant avec le fantastique. Il donne l’occasion de découvrir ou de redécouvrir l’un des plus grands auteurs hongrois du XXe siècle, et l’envie de se plonger dans ses autres ouvrages.


Yann Suty

 


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A propos de l'écrivain

Sandor Marai

Né en 1900 à Kasa, en Hongrie, Sándor Márai publie son premier recueil de poésie à 18 ans tout en suivant des études d’art à l’Université de Budapest. Il envisage pendant un temps d’écrire en allemand, mais choisit finalement sa langue maternelle, le hongrois.

Par la suite, il vit à Francfort, Berlin, puis à Paris où il devient, dans les années 30, un auteur adulé. Tombé dans l’oubli après 1948, date de son exil en Europe puis en Californie, il se suicide à San Diego, en 1989.

En 1990, il a reçu le Prix Kossuth, la plus haute distinction hongroise, à titre posthume.

 


A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock