La passion des écrivains, Rencontres & portraits, Josyane Savigneau
La passion des écrivains, Rencontres & portraits, octobre 2016, 264 pages, 21 €
Ecrivain(s): Josyane Savigneau Edition: GallimardJosyane Savigneau, dont on a lu dans les années 1990 et 2000 tant et tant de critiques littéraires dans Le Monde des Livres, publie ici une sélection de ses portraits d’écrivains parus dans ce journal, dont elle fut l’une des plumes. De fait, il s’agit plutôt d’une promenade amicale et empreinte d’admiration auprès d’écrivains et d’éditeurs, d’une femme de théâtre et d’un marchand d’art également, côtoyés, admirés ou chéris, tous respectés à un titre ou à un autre, du moins au moment où les articles ont été écrits, car Josyane Savigneau rappelle de temps à autre que « la vie n’est pas morale ».
Parmi ce florilège de personnalités littéraires, on trouve Patricia Highsmith, William Styron, Françoise Giroud, Salman Rushdie, Toni Morrison, Guy Schoeller, Jean d’Ormesson, Edmonde Charles-Roux, Jérôme Lindon, Claude Durand, Pierre Bergé, Françoise Sagan, Doris Lessing, Simone de Beauvoir, Régine Deforges, Joyce Carol Oates – des auteurs français ou anglophones, beaucoup d’auteures féministes, des éditeurs qui ont compté dans le paysage éditorial français. Les rencontres et portraits interviennent souvent à la fin de la vie des auteurs, ce qui rend les textes d’autant plus riches, plus essentiels.
En effet, Josyane Savigneau cherche à percer le mystère des écrivains, en cernant leurs caractéristiques les plus marquées mais aussi les plus secrètes. Elle a pour décrire chacune de ces personnalités le sens de la formule, du raccourci qui fait mouche, à la manière d’une épithète homérique ou d’une citation qui résume tout entière la personne. Comme certaines d’entre elles sont à présent décédées, et d’autres proches de la mort, l’ouvrage fait figure de recueil de souvenirs d’un temps passé, un temps important néanmoins dont les textes sont les survivants. Ainsi, de Patricia Highsmith et de sa passion du « mot juste », Savigneau fait « un écrivain conscient de ne pouvoir être un vrai créateur qu’en étant d’abord un très grand lecteur ».
Françoise Giroud est décrite comme une journaliste née – « De toutes mes vies, celle que je préfère, c’est le journalisme » – et une féministe qui aimait le pouvoir plus que le féminisme. On lui doit quelques belles phrases ironiques : « Le problème des femmes sera résolu le jour où l’on verra une femme médiocre à un poste important. On n’y est pas encore, précise-t-elle, mais on progresse » ; « les choses ne vont pas si mal, mais plus les hommes sentent cette avancée des femmes, plus ils résistent ». Surtout en politique : « Là, c’est clair, ils ne veulent pas laisser leur place ».
Salman Rushdie se livre à l’introspection, après la fatwa qui l’a frappé en 1989 : « les écrivains qui comptent n’ont jamais écrit “au nom de”, mais plutôt “contre” » ; « J’ai un terrible penchant pour l’ironie. Quand on a ce genre de personnalité, on sait très bien contre quoi on est. Mais on ne sait pas toujours pour quoi on est ». Dans sa solitude forcée, peu à peu Rushdie a appris à se détourner de l’humour, de la satire : « il fallait que je comprenne pour quoi je me battais ».
Toni Morrison, la guerrière, s’oppose à ceux qui prétendent « délivrer des vérités définitives sur ce que doit être “un vrai roman” », alors que « le roman, c’est le lieu même de la liberté ». Elle souligne également l’inadéquation entre l’écriture et la maternité : « Vous connaissez, vous, de grands écrivains qui soient mères ? »
Guy Schoeller, créateur en 1979 de la collection Bouquins chez Robert Laffont, « née d’un hasard », est un descendant des anciens temps de l’édition française, ceux « où les éditeurs n’étaient pas des “managers” » et où « Le stress, [c’est] sûrement pas bon pour la santé ». Il se définit comme un Casanova : « Ce qu’il apprécie : les femmes, le vin, les livres, “la vie, quoi !” », de sorte qu’« une visite à Guy Schoeller, c’est excellent pour la santé. Pour le moral. Pour guérir de la peur de vieillir ».
Jean d’Ormesson dit de lui-même : « Je ne suis pas un homme de gauche », mais c’est pourtant « l’écrivain de droite préféré de la gauche », ainsi que l’écrit Patrick Besson. « La légèreté, la désinvolture, la gaieté » sont chez lui des constantes : « “J’ai décidé d’être gai, c’est un long travail, mais ça m’est très naturel”, répète-t-il en riant ».
Jérôme Lindon, directeur des Editions de Minuit, est l’homme qui avait « une certaine idée de l’édition», qui mena bataille « pour le prix unique du livre », et à qui « la rive droite de la Seine [lui] était inhospitalière ». Pour lui rendre hommage, l’un de ses auteurs, Jean Echenoz, a fait de lui en 2001 un brillant portrait.
Claude Durand, dont la devise semblait être « Never complain, never explain (ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier) », fut l’apprécié PDG de Fayard dans les années 1990-2000.
Pierre Bergé, personnalité proche des créateurs, s’exprime sur l’homosexualité et sur la vie politique du pays : « L’homosexualité, c’est comme être gaucher, une minorité qu’on essayait de contrarier » et « Je suis un homme de gauche. La gauche ne va pas bien, la droite non plus, ce pays va mal, et je ne vois pas bien comment il pourra aller mieux tant qu’on ne trouvera pas une personne pour incarner un renouveau ». La situation a-t-elle évolué depuis ces paroles ?
Françoise Sagan cultive « le goût du rire » et qualifie de nombreuses attitudes d’« assommantes » : « La déploration étant “assommante”, […] le rire […] est avant tout cette preuve éclatante et irrésistible de notre liberté première ».
Doris Lessing, prix Nobel de Littérature en 2007, une « rebelle inaltérable et joyeuse », affirme qu’« il faut ne pas craindre les paradoxes, la complexité, il faut aimer les femmes qui savent “penser contre”». Josyane Savigneau éprouve une grande tendresse pour l’écrivaine : « Elle en sait long, comme tout grand écrivain, sur le mensonge et l’illusion » et « Elle sera à jamais une femme à la fois bienveillante et en colère contre un monde absurde ».
De Joyce Carol Oates, l’écrivain Edmund White, son ami et collègue à Princeton, dit : « Joyce est un personnage paradoxal. Quand elle écrit, elle devient quelqu’un d’autre. […] la personne rationnelle, extrêmement cultivée, que l’on connaît dans son enseignement laisse place à quelqu’un en proie à une folie imaginative et qui écrit à une vitesse impressionnante ». De fait, sa bibliographie est extrêmement riche et diversifiée. Joyce Carol Oates, quant à elle, se sent « proche de Marguerite Yourcenar qui souhaitait écrire “jusqu’à ce que le stylo tombe des mains” ».
Dans ces portraits, où l’on distingue des constantes, on découvre beaucoup de combats, beaucoup d’ironie, d’humour ou d’auto-dérision, beaucoup de gaieté ou de légèreté. Femme de gauche, féministe engagée, journaliste non issue du sérail, Josyane Savigneau s’est fait, par ses nombreux exercices d’admiration, une place parmi les plus grands critiques littéraires et amis des écrivains. On referme ce livre ému-e par toutes ces rencontres avec des grands de la littérature et de la culture. En même temps, on redécouvre le pouvoir immense que les écrivains – et certains éditeurs – ont sur leur époque, par leur travail, leur capacité de réflexion, leur engagement dans l’écriture, leur ténacité et leur pouvoir créateur.
Sylvie Ferrando
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