La dernière interview, Eshkol Nevo (par Anne Morin)
La dernière interview, Eshkol Nevo, août 2020, trad. hébreu, Jean-Luc Allouche, 468 pages, 24 €
Edition: Gallimard
La dernière interview… est en réalité une somme de questions – vraies, fausses, prétextes ? – posées à l’auteur – Eshkol Nevo, son double, imaginaire, fantasmé ? – exutoire ? – par des lecteurs supposés, sur Internet : « Ces anecdotes se sont tellement perfectionnées devant les publics successifs que je ne suis déjà plus certain de les avoir réellement vécues » (p.15).
En réalité une trame, une toile tissée abordant, par-delà la vie professionnelle et familiale de l’écrivain en question(s), les thèmes de la vie politique, culturelle, « cultuelle », les grands thèmes de l’armée, de son entrée par effraction dans la vie, du voyage, de l’amitié, de la mort, de l’amour, de la poursuite, en résumé, de l’identité : « (…) L’Israélien que je décrivais dans mes ouvrages ne coïncidait pas avec le cliché qu’ils espéraient voir – un Israël d’oranges, de danses folkloriques et de raid sur Entebbe » (p.102).
Il aborde toutes ces questions avec un certain humour, un recul certain, parfois cocasse, qui tendent à décharger certaines situations, à les éclairer sous un jour différent, une nouvelle perspective, un point de vue autre, décalé, et pourtant peut-être plus à charge : « Je vais le dire le plus simplement possible : chacun est libre de lire mes livres comme il l’entend » (p.26). Ce n’est pas moi, c’est l’autre… mais qui est l’autre, sinon un moi dissimulé dans la matriochka gigantesque de chaque perspective ? « Etes-vous favorable à l’accord de paix “deux Etats pour deux peuples” ? Je refuse de répondre à cette question. (…) Bien sûr que j’y répondrai. Je n’ai pas envie d’y répondre, mais j’ai encore moins envie qu’on pense que j’évite d’y répondre » (p.133).
La déformation comme à travers un prisme fait des personnages des chimères : un morceau d’untel associé à celui d’un autre, comme ces demi-images de livres d’enfants que l’on peut greffer à d’autres, sans correspondance : « Je ne puis raconter cet entretien – comme d’autres événements de l’année dernière – que de la manière dont il ne s’est pas vraiment produit » (p.363).
Pour se protéger et se révéler à la fois, l’écrivain n’est-il pas un transformiste aux deux sens du terme ? « Le véritable suspense – que je trouve captivant – est : nos péchés sont-ils des péchés ? Et comment le sait-on, bordel ? » (p.336-337).
La dernière interview ? Un roman en demi-teintes : quand on appuie sur le « bouton », il n’y a pas de retour, de recours possible, ni de possibilité de fondu enchaîné : « (…) j’allais me battre pour eux. Pour eux et pour tout ce qui n’est pas encore perdu ici, dans ma maison, et dans ma patrie » (p.465).
Anne Morin
Eshkol Nevo, né en 1971, vit et travaille près de Tel Aviv avec sa femme et ses enfants. La dernière interview est son sixième roman traduit en français, tous ont paru aux éditions Gallimard. Publié dans le monde entier, acclamé par la critique et le grand public dans son pays, Eshkol Nevo est considéré comme l’une des voix les plus originales de la scène littéraire internationale.
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