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La Demoiselle Sauvage, S. Corinna Bille (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 13.02.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Gallimard

La Demoiselle Sauvage, S. Corinna Bille Gallimard, collection Blanche – Mai 1975 (réédition juin 2014) 216 pages – 16,90 €

Edition: Gallimard

La Demoiselle Sauvage, S. Corinna Bille (par François Baillon)

 

La Demoiselle Sauvage est un titre parfaitement choisi, à l’image de ce recueil de nouvelles où les femmes sont plus présentes que les hommes, où les forêts du Valais semblent ne pas nous quitter tout au long de la lecture, où le désir tient une place somme toute importante dans l’histoire des personnages, qu’il s’agisse d’un désir réprimé ou vécu avec complexité. Cependant, ce recueil, qui a reçu la Bourse Goncourt de la nouvelle en 1975, ne nous apparaîtrait pas aussi riche si une atmosphère de rêve et une forme de fausse innocence colorée ne venaient compléter ces tableaux de vie surprenants, oscillant entre le conscient et l’inconscient.

Les titres des nouvelles pourraient eux-mêmes faire penser à une suite de contes charmants, mais c’est une relative tromperie : « Le Garçon d’Aurore », « La Jeune Fille sur un cheval blanc », « Le Rêve », « L’Envoûtement »… Envoûtés, nous le sommes, comme sous l’effet d’un sort légué par le talent de Corinna Bille (qui, du reste, a aussi écrit des contes pour les enfants), mais c’est pour mieux nous faire entrer dans les turpitudes, les frustrations, les méandres intérieurs des femmes et des hommes parfois.

Ainsi peut-on lire des passages aussi contemplatifs que celui-ci : « … je sortis de cette zone boréale, humant une dernière fois ce lait de brouillard qui la nourrissait d’une vérité de rêve. (…) Les arbres se silhouettaient sur un ciel de feu. (…) j’avançais vers le couchant, vers la ville où vivait encore le jour, tandis que derrière mon dos proliféraient les occultes mousses noires. Et je me disais : « Je suis en paradis. » » [p. 146, in « Le Nain et la Vieille »] Puis des réalités plus élémentaires viennent nous faire basculer dans des considérations tout à fait autres, comme dans « La Petite Femme des courges », où l’humour et l’ironie ne sont pas exempts, ou dans « La Dernière Confession » : « Il n’y avait aucune gaieté en moi, mais une rage sombre, si intense qu’elle me détruisait momentanément, qu’elle me laissait sans force des heures. Mais je renaissais vite. (…) Cette solitude même ne faisait qu’enfiévrer des sens de plus en plus exigeants, avides, et dont le « rendement » s’accentuait… » [p. 199] Ainsi en saura-t-on plus sur la relation que cette mourante entretenait avec les femmes, ou plus exactement les filles, confession faite à un prêtre qui demeure médusé de bout en bout : « La meilleure de toutes ces filles, je suis allée la chercher au nid. Chez sa mère. Elle sentait encore le lait, la tiédeur des jupes maternelles (…). Je parlai de l’adopter, elle était prête à renier son enfance, elle reniflait de bonheur : elle m’aimait. (…) Elle n’avait pas peur du Mal, elle était si naturelle (…). Je la faisais naître, je la faisais mourir. » [p. 203]

D’une certaine façon, l’onirisme présent dans ces nouvelles sert à explorer plus profondément les vérités humaines, leur part transgressive, en ne faisant aucunement l’impasse sur ce qu’on pourrait y trouver de plus étrange et de plus déstabilisant. Toutes les clés ne nous sont d’ailleurs pas données pour comprendre intégralement chaque protagoniste – mais nous savons que certaines questions restées en suspens sont plus intéressantes que leurs réponses. En revanche, ces personnages auront agrandi en nous notre propre étrangeté, nous auront fait visiter plus loin notre singularité.

Aussi cet ouvrage, qui se présente sous des airs de conte doux et inoffensif, est un hommage rendu à l’inconscient et à ses images secrètes, et il soulève habilement, extirpées de profondeurs, quelques sources moirées et complexes sur notre humanité.

 

François Baillon

 

S. Corinna Bille (1912-1979), qui partagea sa vie avec l’écrivain Maurice Chappaz, fut romancière et nouvelliste. Elle s’est fait connaître en 1944 avec le roman Théoda. Depuis, de nombreux livres ont suivi, où l’onirisme est souvent mêlé aux paysages du Valais. En 1975, son recueil de nouvelles La Demoiselle Sauvage reçoit la Bourse Goncourt de la nouvelle. Pierre Jean Jouve ou Philippe Soupault ont également préfacé certaines de ses œuvres.

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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.