La Danseuse, Patrick Modiano (par Philippe Leuckx)
La Danseuse, Patrick Modiano, Gallimard, Coll. Blanche, octobre 2023, 112 pages, 16 €
Ecrivain(s): Patrick Modiano Edition: Gallimard
Le dernier Modiano : La quintessence
La Danseuse de Patrick Modiano qui sort ces jours-ci chez Gallimard est un roman bref – moins de 90 pages de textes, et pourtant une petite merveille de narration (double – en il, en je), qui relaie sans peine les thématiques mémorielles de son auteur.
Faudrait-il être léger pour relater et commenter ce roman, fruit d’une fluidité qui joue des époques (les années 70, 2022/2023), brasse les milieux et les personnages ? Les lieux aussi : de la Porte de Champerret au studio Wacker, en passant par les toutes petites rues cachées, loin des grands boulevards. La danseuse, toute conquise à son art, laisse son fils Pierre aux bons soins d’Hovine et du narrateur, qui le conduit à l’école. Elle a dû changer de domicile pour échapper à des harceleurs du passé (Barise). Elle passe parfois du temps chez Pola pour se ressourcer et s’adonne à des lectures mystiques.
L’on ne saura jamais grand-chose de cette danseuse brillante, ni nom ni prénom, hormis ses attaches au monde de la danse, son fils, Pierre, sept ans au moment des faits remémorés par le narrateur (auteur de chansons, correcteur de tapuscrits).
La nuit dernière, j’ai tenté de faire une liste des personnes qui formaient autour d’elle un petit groupe. D’abord, quelques danseuses et danseurs du studio Wacker dont les noms me sont restés en mémoire : Jean-Pierre Bonnefous, Félix Blaska, Marpessa Dawn, Lebercher… (p.30).
Le temps (la grande affaire) trouve une fois de plus la place essentielle d’un roman qui dévoile par secousses quelques pans d’un passé qui revient, lancinant, à la surface des choses. Les personnages secondaires (Verzini, Starass, Pola) ont ce je ne sais quoi d’interlope qui fait tout le charme suranné de ces ambiances feutrées. Et puis il y a ces silhouettes égarées dans la ville, qui semblent ou non vous reconnaître et partent.
De la station de métro, elle suivait l’avenue pour rejoindre l’appartement de Pola Hubersen. Celle-ci était absente une quinzaine de jours et, chaque fois qu’elle retrouvait Starass pour quelques heures, elle était seule dans l’appartement avec lui (p.66).
Les topographies parisiennes – banlieue comprise – se complètent et servent d’authentiques blasons de réalité, comme les collèges de « Quartier perdu ». Du grand art. Et cette mélancolie de l’épilogue, que l’économie d’écriture rend encore plus bouleversant.
Et nous reprenons notre marche tous les trois dans la nuit jusqu’à la fin des temps (p.96).
Philippe Leuckx
Patrick Modiano, né en 1945, est l’auteur d’une soixantaine de livres, dont : Rue des boutiques obscures ; La petite Bijou ; Chevreuse. Prix Nobel de littérature.
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