La chair du théâtre - Mettre en scène Perplexe de Marius von Mayenburg
Peu de gens en vérité lisent du théâtre, cette lecture semble réservée à des pratiques scolaires puis universitaires. Musset a écrit, un peu par dépit, des pièces « dans un fauteuil », destinées selon lui à la lecture. La postérité lui donna tort. Le théâtre est texte et chair. Et c’est justement cette confrontation intellectuelle et sensible qui fait sa grandeur, son essence. Le théâtre contemporain pose souvent de manière aigüe le passage de l’un à l’autre. Que pourra être l’incarnation de ce texte sur un plateau ? Comment jouer ça ?
Perplexe est une œuvre dont la réalisation scénique est affaire de théâtre. Les personnages sont des comédiens en devenir. La pièce a été d’abord créée en Allemagne par l’auteur. Il s’appuyait sur un principe particulier, à savoir celui de donner aux personnages les noms véritables de ses comédiens : Eva, Judith, Robert et Sebastian. Les prénoms du réel et de la fiction théâtrale se superposent. G. Chavassieux, lors de la création française, reprend ce système. Jeanne et François ; Antoine et Sophie, sont bien les membres du collectif ILDI ! ELDI. Toutefois la traduction apporte quelque chose de différent à la version originale, un éloignement de la germanité avec ces prénoms français.
La première de la mise en scène a lieu le 20 mars 2013 à 20 heures dans la petite salle du théâtre des Ateliers à Lyon. Le choix de cette salle de petite jauge constitue une proximité physique, une intimité entre les comédiens et les spectateurs, d’autant qu’un escalier central perce la zone des fauteuils et permet un aller et venu, un entre-deux de la théâtralité. Le texte de Mayenburg parle de deux portes à droite et à gauche, là il n’y en a qu’une dans le dispositif choisi par G. Chavassieux.
Le texte devient chair, voix, lumière, bruit et musique pendant une heure et douze minutes.
Quatre comédiens, deux hommes et deux femmes, tandis que les spectateurs s’installent dans la salle éclairée, bavardent entre eux, parfois regardent les gens arriver. Sur le plateau, un gros canapé vert, celui indiqué par Mayenburg (mais sans précision sur sa couleur) occupe une place de choix. Les deux couples tour à tour s’assoient, lisent, s’échauffent comme des sportifs avant une compétition. Ils boivent aussi de l’eau dans de petites bouteilles en plastique. Derrière le canapé, des étagères avec une zone de penderie. Des accessoires y sont rangés : un curieux casque de viking conforme à la didascalie de la p.39 avec tresses blondes. Devant la porte, sont posées deux valises, elle aussi prévues par l’auteur au début du texte. Des projecteurs sont stockés. Les comédiens et les spectateurs ne cessent de s’observer. Sur le côté, le décorateur a prévu, un peu en hauteur, de fausses fenêtres qui serviront à simuler un étage, celui de la chambre de l’enfant. Au sol, un espace a été délimité par un ruban adhésif blanc par le metteur en scène comme si le plateau du théâtre lui-même était trop réel et qu’il était nécessaire de dessiner un autre périmètre. Tout ce dispositif initial est une « ouverture », une ligne mélodique structurante pour le reste de la mise en scène. Perplexe parle des frontières ténues au cœur de l’illusion théâtrale entre vrai et faux. D’ailleurs, c’est une des comédiennes-personnages qui, avant de dire des répliques, avant d’endosser son rôle, ses rôles, va artificiellement éteindre le plateau et plonger la salle dans l’obscurité, dans le noir, pour que la cérémonie dramatique puisse commencer. Le texte alors entrera lui aussi en scène par la voix des comédiens :
Robert : Bon
Du courrier ?
Ces voix, ces corps vont bouger beaucoup, au début de la pièce, les voix vont moduler pour passer d’une voix d’adulte à celle d’un enfant (Robert fait l’enfant p.29). Les comédiens vont se dévêtir, se travestir. Equipement complet du parfait skieur : chaussures adaptées à des fixations, skis, fuseau à bretelles, bonnet de laine. Faux bois d’élan tenus par un serre-tête. Les accoutrements grotesques (robe volcan) font rire le public dans leur matérialité festive d’accessoires conçus par C. Allamano. Les échanges sont nerveux. Les corps des comédiens se glissent dans les enchaînements virtuoses du texte. Les comédiens parfois sortent de la logique frontale de la salle et grimpent l’escalier central et parlent dans le dos des spectateurs. Là encore, les frontières des codes du théâtre sautent. Et le jeu au fil de la pièce s’adoucira jusqu’au chant mélodieux et choral de l’excipit. Le lecteur a pris son temps, le spectateur a été entraîné dans un tourbillon. Et au moment des saluts, les comédiens applaudis et célébrés paradoxalement retourneront, sans le prestige de leurs costumes de théâtre, à la vie.
La pièce a été recensée précédemment. Lire la recension
Marie Du Crest
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