Perplexe, Marius von Mayenburg
Perplexe, trad. de l’allemand Hélène Mauler et René Zahnd, 2012, 78 p. 14 €
Ecrivain(s): Marius von Mayenburg Edition: L'Arche éditeurA l’occasion de la création en France de la pièce à Lyon en mars 2013 au Théâtre des Ateliers
Perplexe /Perplex paraît en 2010 en Allemagne. La même année, son auteur Marius von Mayenburg monte sa propre pièce à Berlin à la Schaubühne. Cette double entreprise relève sans nul doute de la perplexité du théâtre interrogé par Mayenburg. L’étymologie du mot perplexe (perplexus en latin) met en lumière « l’enchevêtrement » qui sous-tend le texte qui jamais n’établit de coupures, de pauses. Le texte est tout au contraire un flot, un glissement de réplique l’une sur l’autre. Au début s’entremêlent des didascalies et des répliques d’un duo (figure d’un couple revenant de vacances). Ces didascalies portent surtout sur la mobilité des corps tandis que le texte s’englue dans la redite par la reprise d’un mot : courrier-Robert-courant-usine électrique-interrupteur… Premier effet de décalage comique. Certains pourraient penser aux deux couples anglais de La cantatrice chauve, les Smith et les Martin : Eva et Robert puis Judith et Sebastian. Le premier couple rentre dans son appartement après des vacances à l’étranger. Il est question du courrier arrivé pendant leur absence, de la facture d’électricité restée impayée. Leurs amis, Judith et Sebastian ont eu la charge de s’occuper de leur domicile. Leur conversation relève de la banalité absurde :
C’étaient comment les vacances ? p.15
Peu à peu, l’échange tient plus du coq-à-l’âne burlesque que du dialogue structuré. Où l’on aborde la question des escargots noirs, la théorie de l’évolution de Darwin ou le problème des ordures laissées sous le canapé. Mais la perplexité, c’est aussi l’incertitude, celle qui ne peut dire les frontières de la réalité et de la représentation du théâtre, du théâtre dans le théâtre. D’ailleurs le décor initial définit un principe scénique simple : A gauche, la porte de la cuisine (côté jardin) et à droite, la porte vers le couloir (côté cour). L’espace du plateau, de la salle sont un entre-deux ambigu pour les personnages : ils le désignent. Il s’agit bien du quatrième mur (didascalie concernant Sébastian p.33 ou Eva qui sedirige vers le quatrième mur p.71). Les personnages s’adressent aussi au public tel Sebastian qui ironise sur la mauvaise qualité du spectacle auquel il assiste p.32. Un peu plus loin, il ajoutera :
Nous ne voyons que les ombres de la réalité P.63
Et toute la pièce va tendre vers la démolition du décor, de ce qui crée l’illusion du théâtre. Sebastian, encore lui, devient technicien de plateau et emporte les accessoires, démonte les divers éléments du décor :
A la fin de la pièce on débarrasse le décor, plateau vide, radicalement enlevé, rideau fermé, c’est un classique de la mise en scène
La mise en scène de l’auteur ou du metteur en scène Mayenburg ? Ne s’agit-il pas d’une mise en abyme vertigineuse ? Mayenbourg va encore plus loin dans cette perplexité qui agite aussi bien les personnages jamais eux-mêmes que les spectateurs-lecteurs dépossédés de tout repère. Ainsi les personnages se travestissent chacun à leur tour. Eva devient jeune fille au pair, son compagnon Robert, un enfant de huit ans. Leurs amis endossent le rôle de leurs parents. Les personnages et les comédiens des comédiens sont protéiformes. Ils s’y perdent eux-mêmes, pris dans la tension entre ce qui est représenté et ce qui est. Eva ne dit-elle pas p.28 :
Cherchez-vous à faire oublier que vous êtes en train de perdre la raison ?
Robert va se déguiser en nazi grotesque. Mayenburg fait du costume un oripeau à la fois pitoyable et essentiel, métaphorique. Sebastian se métamorphose en élan, Judith en viking et Eva en volcan. Robert quant à lui revêt la panoplie du skieur. Il suffit d’enfiler le déguisement pour « que tout baigne » affirme Robert. Le théâtre s’abandonne enfin à ses origines dionysiaques, Robert dans l’ivresse s’accouple, alors que Sebastian s’est fait élan :
Donne-toi à l’élan p.50
Mayenburg tisse aussi un réseau de leitmotiv : celui du mystérieux paquet découvert au début de la pièce et qui réapparaît (p.11, p.35, p.51). Le paquet ouvert à la fin du texte contient une lettre adressée à Mme Eckels alias Eva qui lit ce qu’elle a écrit. Et le paquet contient aussi la tête grandguignolesque de Robert, un peu comme les saints portant leur tête après une décapitation. La pièce revient sur elle même à la p.64. Robert à nouveau entre en scène avec ses valises.
Il est vêtu comme au début de la pièce
De même, revient le motif de la plante en pot. Les accessoires de théâtre sont-ils justement accessoires ou non ? Mayenburg semble rechercher en quelque sorte l’épure finale. Il choisit de biaiser le langage théâtral en se tournant vers le chant, la berceuse pour son quatuor.
Dors, dors mon enfant
Et le mot de la fin est fin, Ende comme s’il fallait faire cesser le sortilège comique un peu comme lorsque dans la comédie de Corneille à la scène 6 de l’acte V, les comédiens partagent leur argentaprès la représentation.
Marie Ducrest
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