L’Anomalie, Hervé Le Tellier (par Jean-Paul Gavard-Perret)
L’Anomalie, Hervé Le Tellier, août 2020, 336 pages, 20 €
Edition: Gallimard
Le début de la fin selon Hervé Le Tellier
Dans ce roman – qui selon l’auteur n’en est pas véritablement un – à double-fond, entre le temps physique et notre temps distendu, les héros de Le Tellier, sans avoir conscience du temps qui s’écoule, nous emportent dans une « anomalie » : le même avion avec les mêmes passagers se posent à deux moments différents. D’où la volonté de faire un trou dans les plis du temps de cet interstellar romanesque qui oblige des savants réunis à Washington à élaborer des hypothèses.
Pour certains, le monde est photocopiable, pour d’autres il s’agit d’un trou de verre dans les strates du temps, et pour les derniers d’entre eux il n’est qu’une pure simulation généralisée. Cette dernière idée devient « la bonne » car la plus absurde. Ce qui laisse au passage le Président Américain « bouche ouverte » comme un « gros mérou ».
Pour l’auteur, toute réalité est donc un mensonge (ce qui est différent néanmoins que les fake news du potentat US). Et il faut faire avec. Objectivement nous ne connaissons en fait le monde que par nos capteurs. Ils président à, et prédisent qui nous sommes. Bref nos réseaux neuronaux sont là pour inventer peut-être une conscience qui se regarde elle-même et qui va bientôt être dépassée.
Bref, pour Le Tellier rien n’est impossible car nous ne sommes que des machines créées par des millions d’années d’évolution, et où le cerveau est un organe comme les autres et peut lui aussi être égalé voire dépassé par des machines.
D’où ce livre qui fait un sort à l’intelligence artificielle. Il est inquiétant dans les pouvoirs qu’il émet sur et par les codes de « l’objet » humain bientôt dépassé par un autre. Le langage des mathématiques et de la physique est revisité par ce romancier (lui-même mathématicien à l’origine) afin de créer une ontologie particulière.
La fiction – qui pour l’auteur n’en est pas vraiment un – prouve que tout est imposture : même la gloire (sauf pour les marathoniens) au moment où le « discours de la méthode » cher à Descartes se renverse par la force des machines qui pensent la conscience au moment où elle croit le faire.
« De quoi sont faites les choses », tel est donc le sens du livre là où en fin de parcours les religieux succèdent aux scientifiques pour tenter de trouver des explications à une forme de débauche de l’espace-temps au moment où il n’est pas question de laisser dans la nature des doubles incontrôlables et sans que l’on sache qui est le double lui-même et l’original).
La création est donc au centre du roman où le souffle de dieu est remplacé par les systèmes programmés exécuteurs des hautes œuvres dont nous sommes les jouets.
Jean-Paul Gavard-Perret
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